«LR ne parle plus au peuple» : pourquoi Bernard Carayon rejoint Éric Ciotti.

Tribune parue dans le JDD, le 2 octobre 2024

L’ancien député du Tarn et maire de Lavaur, engagé historiquement au RPR, à l’UMP puis chez LR, rejoint Éric Ciotti et l’Union des droites pour la République. Bernard Carayon estime que la droite « n’a pas vocation à être la brancardière d’Emmanuel Macron » et veut rendre au gaullisme ses lettres de noblesse.

J’ai adhéré au RPR en 1981, au lendemain de l’élection de François Mitterrand. Puis aux mouvements (UMP, LR) qui lui ont succédé. Mais ma patience et mon espérance d’un redressement de notre famille politique se sont usées. Comme beaucoup de militants, j’ai décidé de quitter les Républicains et de rejoindre l’UDR d’Éric Ciotti.

Certains des nôtres ont trahi dès le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, alors que celui-ci avait organisé, dans l’ombre de François Hollande, un véritable coup d’État judiciaire contre François Fillon. Ils ont fracturé notre famille politique et servi de caution à une politique qui s’avéra vite désastreuse. Nous n’en touchâmes même pas les dividendes : nos résultats ont été humiliants à la présidentielle, aux législatives et aux européennes. Nous n’intéressons plus grand monde. Nous ne parlons plus au peuple, au travailleur du petit matin qui croise sur le palier celui qui a trafiqué toute la nuit et vit le jour d’assistance, à ceux qui vivent dans la ruralité privés de tout, aux entrepreneurs accablés de charges et de règles incompréhensibles, aux fonctionnaires qui voient s’effondrer l’État par pans entiers en dépit d’un coût budgétaire hallucinant. Même les classes dirigeantes nous battent froid.

La faute en revient à ceux qui ont tourné le dos depuis longtemps aux valeurs et aux principes du gaullisme, quintessence de bon sens et d’intérêt national. Le rassemblement des gaullistes et des centristes, engagé par Jacques Chirac et poursuivi par Nicolas Sarkozy, a dilué notre identité. Je l’avais senti et exprimé, à ses prémices[1]. La souveraineté nationale, armature de notre Constitution, avait déjà été bradée en 1992 avec le traité de Maastricht que j’avais combattu aux côtés de Charles Pasqua, Philippe Séguin et Philippe de Villiers ; puis le « non » populaire au référendum de 2005 a été contourné avec le traité de Lisbonne. Tout en découle : les contraintes communautaires qui pèsent sur les lois sécuritaires comme sur la politique d’immigration, l’abandon, depuis longtemps, d’une politique industrielle ambitieuse et le refus de tout patriotisme économique, la soumission idéologique à ceux qui ont préféré les questions sociétales à la question sociale, en une sorte de mépris de classe, notre effacement dans la direction de l’Union européenne, notre subordination joyeuse aux intérêts allemands et notre disparition de l’Afrique comme du Proche-Orient.

Au Pouvoir, nous n’avons souvent réformé qu’à la marge et, avec cécité, nos gouvernements, fidèles à la doxa de Bruxelles, ont refusé de comprendre la mondialisation comme un théâtre de conflits. Beaucoup d’erreurs ont été couvertes par les parlementaires – et je m’en repens –  au nom de la solidarité avec le gouvernement et nos présidents : la suppression de la double peine (on la disait inutile), la diminution des effectifs des forces de l’Ordre (au nom des économies budgétaires), le principe de précaution (il fallait faire moderne), le maintien des accords de 1968 avec l’Algérie (surtout, ne pas brusquer les deux millions d’algériens présents sur notre sol), la réforme de la Constitution, qui, avec l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, a fait du Conseil constitutionnel le déstabilisateur naturel de la loi votée par le Parlement (être moderne encore !). Nous avons laissé les juridictions suprêmes, nationales et européennes, dominer le droit français. Comme si c’était naturel. Enfin, nos dirigeants ont ouvert leurs gouvernements à des personnalités de gauche, sans, je le répète, faire la politique de nos électeurs.

Après avoir vilipendé Emmanuel Macron pendant des années, voilà que les derniers fidèles participent à la formation de son gouvernement. L’intérêt général est invoqué. Michel Barnier et plusieurs de ses ministres venus de nos rangs sont parfaitement estimables. Mais le Président de la République a gardé la main en opposant son veto à la nomination de Laurent Wauquiez à l’Intérieur, imposant ses partisans en grand nombre. Un socialiste, ministre de la Justice, et l’un des nôtres, Bruno Retailleau, à Beauvau, c’est partager le désastreux « en même temps » avec Emmanuel Macron : le choc est inévitable, les résultats condamnés d’avance, puisqu’en ce domaine, rien de sérieux ne peut se faire sans révision de la Constitution ni référendum.

Avant chaque élection, ils nous ont toujours dit : « on a tiré les leçons de nos échecs ».

Et au lendemain de chaque échec, c’était la même litanie : « on va tout remettre à plat ». Une platitude de plus.

Mais jamais ils n’ont voulu faire l’Inventaire de leurs erreurs, comme si la droite avait ses vaches sacrées, comme s’il fallait, ad nauseam, dissimuler nos participations aux catastrophes nationales : immigration débridée et islamisme conquérant, insécurité explosive, impôts et bureaucratie excessifs, écoles et hôpitaux en déroute.

Et puis, c’est le style et les idées Juppé qui l’ont emporté dans notre famille sur ceux de Séguin. La seule « compétitivité des entreprises » et le primat du consommateur, plutôt que la puissance nationale adossée à la priorité de la production industrielle, le « projet européen » – plutôt que l’Europe-puissance -, dans la pieuse filiation de Jean Monnet qui haïssait de Gaulle et ne servait que les intérêts américains.

On a laissé nos frontières ouvertes aux prédateurs industriels et financiers qui ont pillé nos entreprises en dépit de mes avertissements[2] ; ils n’ont pas protesté quand le Président a fait nommer commissaire européen à Bruxelles le plus médiocre de nos ministres des Affaires étrangères, à l’exception notoire de Philippe Douste-Blazy. Ils choisissent des circonvolutions pour qualifier de malheur l’immigration sans règle : je reconnais toutefois que les propos de Bruno Retailleau sont encourageants s’ils annoncent une politique de rupture avec le communautarisme : pourra-t-elle éclore, sans majorité ?  

Cela suffit. Je ne supporte pas que la droite, ou du moins ce qui reste des gaullistes, serve de béquille à M. Macron qui incarne le déni de réalité, la duplicité, le narcissisme et l’effondrement français. Le voilà même qui contraint, aujourd’hui, notre Premier ministre à augmenter les impôts pour payer ses factures ! La goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Tant qu’il sera président, M. Macron détruira les structures historiques, sociales et économiques de notre pays : on ne coopère pas avec le pire de nos présidents, si étranger à la culture française.

J’ajoute ceci : il est en train d’achever la Ve République en faisant du gouvernement le serviteur des partis représentés à l’Assemblée nationale.

J’ai longtemps combattu notre concurrent de droite. Mais que se rassemblent contre le RN – et les 11 millions de Français qui pensent pour l’essentiel comme nous -, des Républicains, les macronistes et la France Insoumise, tous associés dans le « théâtre de l’antifascisme », comme disait Lionel Jospin dans un rare moment de lucidité, montre bien quel est l’enjeu : sauver le pays quand éclateront la crise de régime, la crise financière et la crise sociale. Une France attachée à l’ordre, aux libertés et à l’indépendance nationale, ne peut être gouvernée par une gauche castratrice de la pensée adverse, désordonnée, dispendieuse et creuse, a fortiori dominée intellectuellement par l’extrême-gauche, peuplée de dingues et de députés de Gaza.

L’UDR d’Éric Ciotti a conclu une alliance électorale qui paraissait évidente à nos électeurs depuis de longues années, alors que le RN avait rompu avec une histoire qui sentait le souffre. Faut-il être plus exigeant avec ce parti qu’avec celui qui a pleuré la mort de Staline et les trotskistes qui n’admirent que des bourreaux, surtout s’ils sont antisémites ? Par principe, je ne conçois pas la politique sans le respect que l’on doit aux plus faibles de nos compatriotes, à ceux que l’on a toujours humiliés parce qu’ils ne pensaient pas comme nos élites. Une partie de celles-ci a abandonné la France depuis longtemps pour l’horizon techno-financier européen, tellement plus chic. Pour connaître un peu l’histoire de mon pays, nous n’avons pas de leçons de morale à recevoir des décadents et des saboteurs de la France. L’organisateur du premier réseau de résistance était le lieutenant de vaisseau d’Estienne d’Orves. On dirait aujourd’hui qu’il est d’extrême droite. Pendant ce temps, le PC, interdit depuis 1939 par les radicaux pour trahison avec l’ennemi soviétique, négociait à Paris, avec les nazis, la reparution de l’Humanité. La « préférence nationale », l’abomination pour la gauche, est née de l’initiative en 1931 d’un député SFIO, Roger Salengro, sous la pression de la CGT. Ministre de l’Intérieur en 1936, il la mettra en œuvre dans le gouvernement du Front Populaire. Quant à l’antisémitisme, Jaurès en fut un terrible porte-voix[3], avant de faire un mea-culpa tardif.

La droite n’a pas vocation à être la brancardière d’Emmanuel Macron et le gaullisme, le fossoyeur de notre pays. Construisons donc l’union nationale qui relèvera notre pays. Je ne désespère pas que nous rejoindront, dans les mois difficiles à venir, tous ceux qui veulent revivre la grande aventure du réveil français.


[1] La droite doit être la droite, tribune parue dans Le Figaro – Août 1997

[2] Patriotisme économique : de la guerre à la paix économique, Éditions du Rocher, 2006.

[3] Mon livre : Comment la gauche a kidnappé Jaurès, Éditions Privat, 2014.

3 réponses à « «LR ne parle plus au peuple» : pourquoi Bernard Carayon rejoint Éric Ciotti. »

  1. une leçon de patriotisme, de courage et de lucidité

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  2. Avatar de adamoliver6de624a97e
    adamoliver6de624a97e

    Merci Bernard ! Très beau texte que cette si pertinente «critique positive», et courageuse attitude, on l’espère exemplaire. Peu de personnalités de la mouvance soi-disant nationale pouvait s’exprimer avec autant de crédit et de légitimité.

    Envoyé de mon iPhone

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  3. Très beau texte Monsieur le Maire et tellement vrai, plein de bon sens.

    Je suis en accord sur tout votre discours.

    Très cordialement

    Hervé LAMARE

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