Seul un (vrai) patriotisme économique nous empêchera de sortir de l’Histoire

Tribune parue dans le FIGARO VOX, le 19/06/2024

Depuis la crise du Covid et le conflit russo-ukrainien, les principes sur lesquels reposaient les politiques économiques française et européenne ont volé en éclat : primauté des intérêts du consommateur qui devait bénéficier des meilleurs prix par le jeu d’une concurrence libérée de toutes entraves, interdiction des aides publiques aux filières industrielles, conviction que la paix économique était le corollaire de l’ouverture des frontières.

Pourtant, la crise financière de 2008 avait été surmontée par la consolidation publique des banques européennes en violation des Traités et la nationalisation de certaines entreprises aux États-Unis.

La guerre économique entre la Chine et l’Amérique s’est amplifiée sur fond de menaces militaires et de diversification des fronts : guerre des métaux, de l’eau, des droits, des données, sous la mer et dans l’espace.

Depuis longtemps, les instances internationales de régulation (l’OMC et l’ONU) sont impuissantes à entraver les conflits et les accords régionaux. Enfin l’ampleur de l’espionnage économique américain, révélée par l’affaire Snowden, a souligné à la fois nos carences en dispositifs de protection et en courage diplomatique.

Désormais, les naïfs ont compris le prix des dépendances stratégiques : le gaz russe, le quasi-monopole chinois sur les terres rares et des minerais nécessaires à la révolution industrielle de la transition écologique, le monopole des GAFAM sur les contenants et les contenus de l’information, sont mieux perçus aujourd’hui alors qu’ils avaient été dénoncés déjà depuis vingt ans par quelques esprits jugés paranoïaques ou nationalistes.

Est-il trop tard pour offrir à la France, voire à l’Europe, de nouveaux terrains de souverainetés ?

Non. « Il faut aller, disait de Gaulle, vers l’Orient compliqué avec des idées simples ».

L’État, d’abord, doit rassembler ses forces, aujourd’hui éparses dans de nombreuses administrations, pour mieux comprendre, anticiper et agir : en mutualisant ses expertises avec celles des entreprises afin de leur offrir une meilleure vision de leurs enjeux normatifs et technologiques ; en mobilisant dans un grand fonds stratégique les moyens de répondre aux défis de l’intelligence artificielle, de notre sécurité, de notre santé, de nos énergies ; en adaptant notre droit aux dangers des législations extraterritoriales américaines, et bientôt chinoises.

Deux autres chantiers doivent être ouverts : celui de l’élargissement par la Commission européenne et les conseils des ministres européens des secteurs stratégiques susceptibles d’être protégés d’une concurrence féroce et financière par des aides directes, nationales et européennes.

Le filtrage, d’ailleurs, aujourd’hui facultatif, des investissements extra-européens non désirés, doit être rendu obligatoire dans les pays de l’Union.

Enfin, notre diplomatie doit être plus courageuse à l’égard des États-prédateurs qui ne s’embarrassent guère de nos préoccupations environnementales et sociales. La Chine, par exemple, s’est toujours exonérée de la ratification des conventions « fondamentales » de l’Organisation Internationale du Travail sur la liberté syndicale et le droit de négociation collective : alors que les entreprises chinoises ont accès à la plupart des marchés publics européens !

En fait, la politique économique de la France doit s’adosser au patriotisme économique[1]. Ce n’est pas un gros mot, il n’est que l’application du principe de réciprocité : « je t’autorise ce que tu m’autorises ». Mais il est un fédérateur d’énergies.

Cela suppose aussi la conscience claire de nos dépendances stratégiques et la volonté de les résorber dans le respect des intérêts fondamentaux de la Nation, protégés, en théorie, par le Code pénal[2].

Après tout, lutter à armes égales avec nos concurrents, en s’inspirant de leurs méthodes, ne serait pas superflu si l’on ne veut pas sortir définitivement de l’Histoire.


[1] Patriotisme économique : de la guerre à la paix économique,2006, Éd. du Rocher, Bernard CARAYON.

[2] Art. 410-1 du Code pénal.

https://www.lefigaro.fr/vox/economie/bernard-carayon-seul-un-vrai-patriotisme-economique-nous-empechera-de-sortir-de-l-histoire-20240619?utm_source=app&utm_medium=share&utm_campaign=android_Figaro?utm_source=app&utm_medium=share&utm_campaign=android_Figaro















































Une réponse à « Seul un (vrai) patriotisme économique nous empêchera de sortir de l’Histoire »

  1. Avatar de PIRLOT Gérard
    PIRLOT Gérard

    Cher Bernard, Un grand merci et félicitation sur ce texte clair sur ce quil convient de dénoncer et de changer !

    Mes amitiés

    Gérard

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