La dette de nos lâchetés

Tribune parue dans LE FIGARO, le 31 août 2022

En moins de vingt ans, la dette de la France a triplé, passant de 1 000 à près de 3 000 milliards d’euros dont 650 supplémentaires durant le premier quinquennat du « Mozart de la Finance ».

Elle est supérieure de 45 points à la dette allemande (70 % du PIB) alors qu’en 2010, les deux dettes étaient d’un niveau équivalent (85%).

Sous François Mitterrand, elle représentait, pour chaque français, le coût d’une Renault Clio ; aujourd’hui, le prix d’une Mercedes, certes d’entrée de gamme, mais toutes options.

Sa charge annuelle – 55 milliards cette année – équivaut au budget des Armées. Elle atteindrait plus de 100 milliards en 2027, nous plaçant parmi les cinq pays de l’Europe du sud dont la traditionnelle gestion laxiste a été entretenue par les rachats de dette de la BCE.

Comme ses prédécesseurs, le gouvernement s’est trouvé de bonnes raisons : hier, la consolidation des banques dans la crise financière de 2008 ; aujourd’hui, les mesures de soutien aux entreprises et au pouvoir d’achat, corollaires des crises épidémique et ukrainienne. Mais les 2/3 de notre dette ne sont pas dus à des mesures de sauvetage de notre économie : ils sont le résultat de lâchetés collectives et anciennes.

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Toute dérive peut se comprendre quand on a été vertueux et toute dépense n’est pas illégitime : il y a des dépenses (d’investissement) qui rapportent et des économies (sur la Santé, la Sécurité et l’Éducation) qui coûtent cher. Mais la vertu n’est pas la qualité première d’un pays où les contribuables sont les plus imposés, les dépenses de fonctionnement de l’Etat aussi massives que croissantes – sans réel bénéfice pour ses usagers – où le temps annuel de travail et les résultats du service public de l’Education aussi faibles, les réformes structurelles et la tenue des comptes publics sans cesse repoussées.

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Notre pays ne s’est pas non plus préparé à la guerre économique, confiant et naïf dans les bienfaits du libre-échangisme, censé garantir croissance, paix et prospérité.

Il n’a pas cru utile, au bon temps de l’ouverture des marchés, de protéger nos fleurons industriels d’OPA non désirées (Alstom, Lafarge, Technip), ni mesurer l’état de nos si cruelles dépendances dans les secteurs et les métiers stratégiques.

Il n’a pas su imposer une préférence continentale en matière d’achats d’armements à ses partenaires européens ni à ses concurrents extra-européens un accès réciproque aux marchés publics. Il a été pris au dépourvu en Afrique par les chinois qui, depuis vingt ans, ont multiplié les accords – léonins – avec les pays riches en minerais et métaux critiques dont dépendent, maintenant, les investissements de la transition énergétique et la préparation d’une troisième révolution industrielle, après celles du charbon et du pétrole.

Quand on a été, durant des décennies, à la fois aveugle sur les conflictualités économiques mondiales, absents des lieux de mondialisation juridique et technique, naïfs et impuissants face à la constitution par les américains de monopoles privés dans les technologies de l’Information et de la Communication, solidaires d’une absurde politique communautaire de la concurrence autorisant toutes aides publiques à nos compétiteurs extra-européens – tout en les prohibant à nos entreprises -, lâches devant la scandaleuse extraterritorialité du droit américain et l’espionnage systématique pratiqué par notre « meilleur ami », il ne faut pas s’étonner d’en être réduit aux expédients des pays du tiers-monde : emprunter pour payer nos dettes, acheter la paix sociale par des subventions à la consommation – qui aggravent notre déficit commercial tout en exonérant de leur bénéfice les classes moyennes -, se résoudre au rôle de sous-traitant ou d’acheteurs de services fournis par nos concurrents majeurs, étrangers à la loyauté commerciale.

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Encourager les activités de loisirs qui ponctionnent les revenus au détriment d’une politique industrielle qui serait adossée à la mobilisation de l’épargne des français, n’est ni récent ni le moins grave. Un ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, considérait, en 2015, que l’inauguration d’un « Center Parc » dans la Vienne était « le plus beau jour de sa carrière de sénateur » : une naïveté aussi insupportable que le mythe du « fabless », l’entreprise sans usines de l’industriel Serge Tchuruk, qui a durablement anéanti, chez nous, l’idéal de la production et la figure du travailleur.

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On ne sortira de cette politique, viciée par une « préférence étrangère » systématique, que par du courage et de la lucidité. Le courage d’abord d’affirmer la priorité de nos intérêts nationaux sur le rêve européen ou la soumission heureuse à l’« ami américain ». Celui de baisser les impôts car les gros taux tuent les totaux : relire Arthur Laffer est une bonne thérapie ! Le courage, encore, de baisser les dépenses de l’Etat en décentralisant une large part de ses compétences, car les élus gèrent mieux que les fonctionnaires : à leur différence, ils sont responsables devant leurs électeurs et le déficit de leur collectivité est interdit par la loi. Courage aussi de conduire la réforme des retraites et une lutte sans faiblesse contre une immigration sans contrôle aux coûts sociaux, politiques et sécuritaires monstrueux. Le courage de mettre au travail ceux qui font profession d’être au chômage. L’audace de transférer aux entreprises, qui, seules, connaissent leurs besoins humains, un système de formation aussi coûteux qu’inefficace et parcellisé.

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Le recours à la dette n’est pas qu’une faculté comptable : c’est une maladie mentale, le refus d’affronter la réalité en tout domaine et l’entretien de totems et de tabous : totems de la dépense publique improductive et d’une Union européenne conçue, non comme un outil mais comme l’horizon naturel de nos pauvre ambitions, tabous de l’assistanat et de l’ouverture au monde entier des bénéfices de notre Etat-Providence. La dette est immorale, quel que soit le taux auquel elle se rembourse, si elle ne sert qu’à financer le présent au détriment de l’avenir mais surtout de la puissance comme du bonheur d’être français : il n’est, plus aujourd’hui, qu’une nostalgie pour nos compatriotes !

Qu’ils appartiennent aux élites tournées vers les chimères du cosmopolitisme et d’un monde sans frontières, ou aux classes moyennes et populaires « entrées en sécession » [1], les français attendent de leurs dirigeants la sauvegarde patriotique d’un héritage libéré des dettes de la lâcheté.

Elle ne pourra hélas s’engager durant ce quinquennat car sa philosophie est étrangère aux dirigeants de notre pays. Mais elle doit être au cœur des républicains et des patriotes des deux rives, destinés, comme toujours, à s’entendre aux pires moments de notre histoire nationale.

Bernard CARAYON

Ancien député du Tarn Maire de Lavaur (LR) Avocat au barreau de Paris


[1] Selon l’expression de l’universitaire Alain Supiot

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