La Lettre de la Fondation Prometheus – Février 2013

Edito de Bernard Carayon

Au travers de son dernier ouvrage, Une vie d’influence, dans les coulisses de la RépubliqueBernard Esambert revient, entre autres, sur un concept dont il a été incontestablement l’un des précurseurs : « la guerre économique ».

Victor Hugo disait déjà en son temps : « Un jour viendra où il n’y aura plus de champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux hommes ». Pourtant, sur les ruines encore fumantes du communisme soviétique et l’avènement de la toute-puissante pensée libérale, il fallait être marginal ou visionnaire pour ne pas succomber aux chants des sirènes néo-classiques, dont la douce mélopée laissait entrevoir un monde où le « doux commerce » permettrait l’évènement d’une « mondialisation heureuse ». Quelle naïveté, quel aveuglement de nos élites, alors que le président américain Bill Clinton, parlait ouvertement, dès 1992, de « guerre économique ».

Il fallait ainsi être un Bernard Esambert pour avoir l’intelligence et le courage de définir les enjeux et les modalités de ce « troisième conflit mondial » : « nous vivons en l’état de guerre économique. La conquête des marchés a désormais remplacé celle des territoires ».

La sémantique juste, précise, incontestable : comme pour un conflit classique, celui-ci à son champ de bataille, ses enjeux, ses armes, et ses victimes.

Le champ de bataille est celui du commerce international dont le volume, avec plus de 10.000 milliards de dollars, représente le triple de celui de la richesse mondiale produite. Stimulus de compétitivité et donc du développement, il est l’une des principales causes de l’enrichissement d’un pays. La guerre économique est bien mondiale, aucun acteur étatique n’ayant intérêt à se retirer du conflit : « la guerre économique a ses vertus » précise l’auteur.

Mondiale, elle est aussi globale, car au-delà du commerce, la guerre économique s’est imposée dans de nombreux domaines. Elle implique en effet des « débarquements chez l’ennemi par implantation à l’étranger, la défense de l’arrière par les entreprises à caractère régional et l’établissement de protections au travers de tarifs douaniers (…) de mouvements monétaires, dont le rythme s’est accéléré depuis les années 1970, ainsi que les innombrables entraves aux échanges qui protègent ici ou là, un pan de l’économie ».

Dans ce conflit, la France doit prendre la pleine mesure des nouvelles armes que sont l’éducation, l’innovation et le développement scientifique : « Les vraies richesses ne sont plus les matières premières, mais les hommes avec leur niveau d’éducation, de culture, d’intelligence et leur ardeur au travail ». Bravo !

B.C.

Installation du Conseil national de l’industrie

La Conférence nationale de l’industrie devient le Conseil national de l’industrie.

Le Conseil national de l’industrie (CNI) a été installé le 5 février. Conformément aux décisions du Pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi.

« Véritable parlement de l’industrie », le CNI aura pour mission, selon le ministre du Redressement productif, de « fixer le cap technologique » aux filières industrielles Françaises et de « mettre les moyens de financement, en plus de l’investissement privé ».

Le CNI intègre de nouveaux partenaires (artisanat, chambres de Commerces et d’Industrie, représentants des collectivités territoriales ou d’organisations syndicales), ses missions sont élargies (une nouvelle filière sera mise en place. Un groupe de travail sur les aides publiques et leur efficacité est mis en place au sein du CNI. Trois autres groupes vont être créés : un groupe sur le financement, un groupe Europe et un groupe consacré à l’énergie).

M. Jean-François DEHECQ, président d’honneur de Sanofi, ancien président du conseil d’administration du Conservatoire national des arts et métiers – CNAM, vice-président de la Conférence Nationale de l’Industrie (que présidait le Premier ministre), occupera les mêmes fonctions à la tête du Conseil National de l’Industrie – CNI.

Le CNI aura pour mission de coordonner les douze Comités stratégiques de filière (CSF) qui regroupent industriels, partenaires institutionnels et ministères dans le but d’élaborer des « contrats de filière ». Ils sont destinés à la mise en œuvre de programmes d’actions concrets en faveur de l’investissement et de l’innovation. L’Etat entend soutenir ces programmes par le biais de la commande publique et des différents dispositifs d’accompagnement financiers à l’instar du programme des investissements d’avenir et de la Banque publique d’investissement (BPI)

La décision de créer un treizième comité stratégique de filière dédié aux industries extractives et à la première transformation de matières premières dont l’acier et l’aluminium, qui agira en lien avec le Comité des métaux stratégiques (COMES), a également été actée.

Développer une influence normative internationale stratégique pour la France

Mme Claude REVEL fut chargée en septembre dernier, par Mme Nicole BRICQ, ministre du Commerce extérieur, d’une mission sur le développement de l’influence française en matière de normes. Elle vient de rendre son rapport qui est en ligne.

L’importance de l’élaboration d’une stratégie d’influence normative

Le rapport rappelle tout d’abord à quel point l’élaboration des normes, entendu dans son sens le plus large de régulations internationales de toutes natures et de noms divers – qui orientent, structurent ou contraignent notre environnement concurrentiel – est devenu un enjeu majeur.

En effet, comme le souligne son rapport, les régulations internationales ne sont jamais innocentes, elles déterminent des marchés, fixent des modes de gouvernance, permettent à leurs auteurs de devancer la concurrence, ou de la freiner, ou d’exporter leurs contraintes. Ainsi la norme et la règle, y compris très techniques, portent des stratégies non seulement commerciales, mais aussi de puissance, des politiques et des modèles, notamment venus, depuis une trentaine d’années, de conceptions dites libérales anglo-saxonnes qui relèvent plus de la culture que de la nationalité.

Sensibiliser et mobiliser les entreprises dans les institutions normatives internationales

Contrairement à l’Allemagne ou au Royaume- Uni, les responsables d’entreprises françaises ne se sont pas dans l’ensemble saisis au plus haut ni- veau de ces sujets, se reposant souvent sur l’État. Or l’État ne peut tout faire et doit se concentrer sur sa valeur ajoutée. Il faut en revanche apprendre à travailler en partenariat public-privé sur les sujets d’intérêt commun.

Le rapport suggère « d’aligner le crédit d’impôt normalisation sur le crédit d’impôt recherche », la normalisation étant, comme la recherche, un investissement immatériel pour des marchés futurs ; ou encore « des mesures emblématiques comme la participation de représentants de la normalisation ou du droit à des voyages officiels pour appuyer des actions en cours ». A plus long terme, il s’agirait d’accroître la lisibilité du dispositif dénormalisation français en favorisant les regroupements et en rapprochant les fédérations des instances centrales de la normalisation.

Réinvestir les institutions internationales

Le rapport se focalise ensuite sur la nécessité de réinvestir les instances internationales créatrices de normes : Banque mondiale, OCDE, organisations de l’alimentation, comme le Codex Alimentarius et la FAO, l’OMS, l’OIT, la CNUDCI, l’OMC et bien sûr l’Union européenne. Or, le constat est sans appel : «l’État français ne paraît pas avoir pris la mesure de l’importance immatérielle cruciale de ces organisations ».

Pour y remédier, Claude REVEL liste une série d’actions à entreprendre, pour chacune de ces instances internationales. Pour la Banque mondiale, elle préconise de participer activement à l’actuelle révision des règles de marchés publics et de lancer une action énergique et déterminée sur le partenariat public-privé. Pour l’OCDE, le rapport souhaite que la France s’associe à une initiative de révision des règles fiscales applicables aux multinationales. A l’OMC, il serait souhaitable de prendre l’initiative de lancer une réflexion sur une évolution de cette institution, « où nous pourrions défendre des positions européennes sur des enjeux majeurs du commerce avec les pays émergents et en développement comme la frontière entre obstacles techniques au commerce et politiques publiques, et sur le traitement à réserver aux normes privées ». Enfin pour l’Union Européenne, il est primordial d’intervenir » en amont des programmes de normalisation et en partenariat public privé, et d’exercer une veille vigilante et parvenir à être plus présents dans les consultations préalables en amont des élaborations de règles ».

Agir en amont de la règle

Afin d’agir en amont du processus de normalisation, il est essentiel, selon ce rapport, de « projeter nos normes et règles par la coopération technique et l’aide au développement, qui doivent être des vecteurs dynamiques de soutien aux positions que nous défendons dans les enceintes internationales ». Ceci implique de concevoir les objectifs des programmes d’assistance technique en anticipation, de mettre en place des stratégies communes entre opérateurs et de concevoir des offres intégrées où figurent l’exportation de nos règles et normes.

Développer une influence normative stratégique internationale

Claude REVEL insiste sur le fait que « nous devons apprendre à utiliser les mêmes techniques d’influence que nos concurrents, comme le classement et la notation, qui sont des prénormes. »

Cette stratégie s’articule en deux temps. Dans l’immédiat, il serait souhaitable de promouvoir et lancer au niveau européen l’idée d’un classement international des climats des affaires par pays. À moyen terme, il faudrait « réfléchir à un NIST (National Institute of Standards and Technology) à la française. » Par ailleurs, pour améliorer le lien entre normalisation et recherche il est important de travailler à « une doctrine sur notre conception de la norme et la diffuser » et de réfléchir en termes de couple normalisation/ certification.

Peser sur les normes des marchés futurs

Un grand nombre de secteurs sont étudiés dans le rapport, parmi lesquels les marchés agricoles et agroalimentaires qui sont clairement l’objet de grandes manœuvres au niveau mondial, les normes liées au développement durable, notamment à la ville durable, qui regroupe plusieurs industries vendables à l’international, les industries liées au numérique, les nano et bio technologies mais aussi nos points forts classiques et enfin, les services, sur lesquels nous pourrions être dynamiques en termes normatifs.

Le rapport propose de mettre en place « des binômes tests, composés de hauts fonctionnaires volontaires non affectés et de responsables privés seniors, chargés de définir et de mener une

stratégie par délégation des administrations concernées, en accord avec elles et avec la structure nationale d’intelligence économique », de « continuer à promouvoir activement nos positions et à développer des alliances sur l’initiative lancée par la Commission européenne de normes financières issues de cabinets et de concepts privés, qui seraient applicables aux États, et en matière d’audit , « d’entamer immédiatement une action sur la reconnaissance internationale des diplômes de grandes école », de « soutenir notre droit et les professions qui l’utilisent, en les associant aux visites officielles, en montant avec eux des actions communes (par exemple sur le PPP ou sur la ville durable), le tout par la conviction.

Point clef du rapport pour maîtriser les accords internationaux en cours et sortir du défensif : lancer une réflexion approfondie sur les positions françaises dans l’accord à venir entre les Etats-Unis et l’Union européenne.

Mettre en place une ingénierie d’influence professionnelle

A cet égard, le rapport propose notamment de « produire du concept, c’est-à-dire élaborer des principes structurants puis les diffuser par tous canaux et réseaux pour étayer nos positions ». Elle suggère trois sujets transversaux présents dans toutes les problématiques normatives actuelles: responsabilité sociale des entreprises, réciprocité et propriété intellectuelle.

Elle évoque le lancement immédiat dans les instituts de formation de l’administration ainsi que dans les écoles publiques, en particulier celles des futurs « décideurs », « une formation de tous à l’intelligence économique, l’influence internationale et la négociation ».

Repenser la structure de pilotage de l’intelligence économique

Cette nécessité découle d’un constat illustrant «la faiblesse flagrante de nos administrations sur l’anticipation très en amont des normes et règles internationales, sur l’influence quotidienne dans les organisations, sur notre présence active au sein de la préconsultation et sur la coordination stratégique, quand il y a plusieurs administrations et/ou plusieurs enceintes ensemble sur un sujet».

Aussi est-il urgent de « décloisonner les sujets normatifs et réglementaires internationaux et les intégrer dans une approche d’intelligence économique (IE) et d’influence de l’État : une obligation si l’on veut éviter le déclin ».

Dans l’immédiat, le rapport préconise que « la structure d’IE nationale doit être un centre nerveux d’alerte, d’impulsion, d’accompagnement et de suivi de stratégies d’information, de sécurité et d’influence, les trois étant inextricablement liées. Elle doit avoir un rayonnement interministériel, être inébranlablement soutenue au plus haut niveau de l’État (…) La structure doit centraliser l’information, orienter la stratégie, la tactique et l’action dans les lieux internationaux et effectuer le suivi-évaluation. Totalement lié aux autres centres de coordination de l’État, ce centre doit permettre d’anticiper et de prendre des décisions sur des sujets complexes. L’influence normative est un pilier et un outil stratégique de cette action d’intelligence économique internationale ».

Accords de libre-échanges USA-UE

Lors de son discours sur l’état de l’Union, le 12 février dernier, Barack Obama a annoncé que les Etats-Unis et la l’Union Européenne travaillaient sur l’élaboration d’un accord de libre-échange. Confirmé par un communiqué de la commission européenne, cette accord devrait permettre de stimuler les relations transatlantiques, qui représentent près de 50% des richesses mondiales mais seulement 1/3 du commerce mondial.

Qui profitera le plus de cet accord ?

L’Europe et les Etats-Unis sont déjà des partenaires privilégiés. Les échanges commerciaux se sont élevés à 444 milliards d’euros en 2012, selon les statistiques de la Commission européenne : l’UE a exporté outre-Atlantique pour 260 milliards d’euros de marchandises tandis que les USA en ont exporté en Europe pour 184 milliards d’euros. L’UE est ainsi le premier partenaire commercial des Etats-Unis, et vice-versa.

Les deux zones bénéficient déjà de barrières douanières relativement basses pour les échanges transatlantiques, mais l’accord a pour ambition d’aller plus loin : en particulier, il s’agit d’harmoniser leurs réglementations, notamment en matière environnementale et sanitaire, et d’ouvrir davantage de marchés aux entreprises implantées de l’autre côté de l’Atlantique, par exemple dans le secteur des transports.

Qu’en est-il de la position française ?

Si la France peut espérer tirer bénéfice de ces accords dans les domaines de l’industrie et des services, les négociations s’annoncent plus difficiles pour l’agriculture. En effet, deux points d’achoppement devront être réglés : les subventions (PAC et aides gouvernementales diverses), ainsi que la règlementation sur les OGM, toujours interdits en France.

La défense sur nos capacités de transport

Par le général de brigade (2S) Henri Pinard Legry.

Avions gros porteurs Antonov utilisés pour le déploiement des forces françaises au Mali.

Depuis le début des actions menées au Mali dans le cadre de l’opération SERVAL, ce sont plus de de 8 000 tonnes de matériel et 3 500 passagers qui ont été amenés par la voie des airs en moins d’un mois. Si, une fois encore, le professionnalisme de nos armées est mis à l’honneur notamment par l’organisation sans faute de ce déploiement, il reste que ces chiffres ne doivent pas faire oublier nos lacunes dans le domaine de la projection aérienne stratégique, par avions gros porteurs.

Aujourd’hui, , l’armée air dispose principalement de C-130 et de Transall, avions de transport tac- tiques qui, bien que robustes, accusent un certain âge (plus de 40 ans ! ) et se révèlent insuffisants pour projeter rapidement une telle force avec ses blindés légers et hélicoptères armés, sur près de 5 000 km de distance. C’est parce que la France ne possède pas de « gros porteurs » tels que les C17 américains, ou les Antonov 124 russes et ukrainiens indispensables dans ce type d’opération qu’elle doit solliciter ses alliés et louer les services de compagnies privées étrangères.

Or, notre souveraineté et la crédibilité de notre politique étrangère exigent que notre pays puisse agir dans l’urgence et seul si nécessaire pour défendre ses ressortissants et ses intérêts. Il nous faut donc pouvoir déployer rapidement des forces puissantes, de manière autonome.

Le transport stratégique aérien est donc une capa- cité indispensable à la puissance militaire française. A cet égard, l’A-400 M, avion de transport tactique à capacité stratégique développé par EADS, aurait dû équiper nos forces depuis plusieurs années ; mais les nombreux retards imputables à des contraintes techniques (mise au point du turbo propulseurs et obligation de répondre aux normes civiles de sûreté aérienne)ainsi que des réductions budgétaires, ont fait que le premier exemplaire ne sera livré que courant 2013…

Il est primordial que ce programme soit mené à son terme et que la France maintienne sa commande initiale de 50 appareils.

La réduction probable, et peut-être drastique des ressources financières allouées à la Défense, risque pourtant de compromettre ou de retarder l’acquisition d’une flotte d’A400 M, mais aussi bien d’autres matériels tout aussi indispensables aujourd’hui – drones, avions ravitailleurs, programme Scorpion,… pour maintenir notre armée à un niveau opérationnel d’excellence.

D’une façon plus générale, les coupes claires qui risquent d’être opérées dans la prochaine loi de programmation militaire auraient des conséquences désastreuses pour notre armée, dont la situation est déjà aujourd’hui en limite de rupture.

Elles priveraient notre industrie d’armement, encore cohérente et de haute technologie, de ressources pourtant indispensables au maintien de sa compétitivité.

Sombre perspective pour un outil industriel encore remarquable et non délocalisable. Nous risquons de perdre rapidement des marchés à l’export et, à terme, nous serons contraints d’acheter davantage d’équipements à des entreprises étrangères.

D’exportateurs – environ 6 milliards d’euros en 2012, notre pays deviendra rapidement importateur d’équipement militaire avec, à la clef, des pertes d’emplois considérables et des pertes de savoir faire irrattrapables.

Comment faire comprendre qu’en temps de crise économique, la Défense, notamment à travers son industrie, constitue un atout pour notre pays car la demande des puissances émergentes ou régionales est forte et contribue ainsi à réduire le déficit de notre balance commerciale ?

Laisser un commentaire