Edito de Bernard Carayon
« Guerre économique » et « guerre des monnaies », principe de réciprocité, CFIUS1 à l’européenne,
secteurs stratégiques, patriotisme économique, secret des affaires, autant d’expressions passées aujourd’hui dans le langage commun, pour traduire l’état de la mondialisation et la nature des échanges économiques internationaux.
Le ministre de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique, Eric Besson parle en effet de « guerre économique » s’agissant de l’affaire Renault, le commissaire européen italien Tajani amorce une réflexion sur le périmètre stratégique de l’économie de notre continent et évoque l’idée d’un «CFIUS» à l’européenne que nous avions nous même défendue il y a quelques années ; les médias déclinent à l’infini le thème de la « guerre des monnaies » ; et le patriotisme économique n’est plus, comme encore la « guerre économique » cité entre guillemets pour qualifier les politiques publiques de nos concurrents, mises en place pour défendre leurs intérêts.
Avions-nous tort d’avoir fait, à la Fondation, depuis cinq ans, cette analyse que partagent aujourd’hui beaucoup de gens raisonnables ?
Petit retour en arrière : l’effondrement du bloc soviétique, au début des années 90, avait suscité l’espoir d’un monde unifié politiquement, ouvrant la perspective de la paix et de la prospérité, à travers la circulation sans entraves des hommes, des idées, des capitaux, des technologies. Vingt ans plus tard, s’impose une nouvelle vision de la mondialisation où prospèrent les distorsions de concurrence, provoquées ou accompagnées par les acteurs gouvernementaux, les campagnes de déstabilisation d’entreprises, les guerres de l’information, la reconnaissance, selon les télégrammes diplomatiques américains révélés par Wikileaks, de la « politique de puissance » engagée par la Chine.
Mais une Chine qui a une stratégie, quand l’Europe peine même à imaginer la sienne: 1500 milliards de dollars seront injectés dans les cinq prochaines années, dans sept secteurs industriels stratégiques :
– les énergies nouvelles,
– les biotechnologies,
– les technologies de l’information de nouvelle génération,
– les produits manufacturés haut de gamme,
– les matériaux de pointe,
– les technologies vertes et…
– les voitures à propulsion alternative !
B.C.
Entretien avec M. Jean-Marc ROUBAUD, Député (UMP) du Gard et chargé de mission G20/G8 par le Président de la République.

La présidence française du G20 met au cœur de l’actualité la politique économique internationale. Quelle approche faites-vous de cette situation nouvelle ?
La mondialisation, de manière insidieuse, mais avec une incroyable vitesse, est venue bouleverser notre quotidien, exploser nos certitudes.
Tout cela implique un changement de comportement pour adapter notre économie au XXIe siècle, car c’est bien elle qui crée prospérité et emplois.
En intégrant ce paramètre essentiel, nous retrouverons de la compétitivité qui nous permettra la conquête de nouveaux marchés. C’est à ce prix que l’horizon s’éclaircira à condition, aussi, que nous ne laissions pas
les marchés diriger le monde d’où la nécessité de régulation et de nouvelles règles pour remettre l’homme au cœur du système.
La crise économique et financière de 2008 ne fixe-t-elle pas les bases de l’ordre économique du XXIe siècle ?
Les grandes puissances comme les pays émergents ont compris la nécessité d’une gouvernance mondiale. C’est ainsi que la proposition de création du G20 par le Président de la République Nicolas SARKOZY est devenue réalité.
Depuis de trop nombreuses années, on a laissé la situation se scléroser en refusant toute réforme et en se contentant d’une situation sans se préoccuper de l’avenir, en laissant inexorablement s’imposer la loi des marchés, la fluctuation des monnaies et la volatilité des prix des matières premières. L’enjeu du G20 est de mettre en place des règles pour créer un monde différent, basé sur une libre monnaie mais régulée. La régulation du système monétaire international est donc un impératif. Il y a encore peu cette question n’était pas à l’ordre du jour. La présidence française en a fait une priorité qui est désormais admise par tous. La naissance de nouvelles puissances économiques entraîne de fait l’émergence de nouvelles monnaies internationales. Cela ne veut pas dire que le dollar ne demeure pas la monnaie d’échange, mais il est nécessaire de créer des indicateurs de référence pour lier ces monnaies entre elles et éviter toute fluctuation spéculative. Ce chantier monétaire est de grande ampleur, il doit répondre à la nécessité de régulation des flux des capitaux internationaux et à la lutte contre les paradis fiscaux.
Une autre priorité fixée par le Président de la République française est le défi alimentaire: la nécessité d’augmenter la production agricole de 70% d’ici 2050 nous impose un défi à relever sans attendre. Il replace l’agriculture au premier plan. C’est tant mieux pour la France, deuxième agriculture mondiale et pour l’Europe qui s’est dotée d’une politique commune en la matière, qu’il est indispensable de conserver. La financiarisation du marché des matières premières, notamment agricoles, et la volatilité qu’elle entraîne, sont des facteurs de troubles sociaux graves. Les émeutes de la faim qu’ont connues les pays les plus pauvres vont être récurrentes si la situation reste en l’état. Ce sujet est d’une telle importance que Nicolas SARKOZY, Président du G20, a confié ce dossier à M. MEDVEDEV, Président de la Fédération de Russie, en lui demandant de prendre en compte la régulation des marchés des matières premières agricoles, l’amélioration de la transparence sur les productions, l’état des stocks afin de prévenir les crises alimentaires, et également la protection des pays les plus pauvres face à la hausse des prix ou à des événements affectant les récoltes.
A l’issue de la conférence de presse du 24 janvier dernier, certains journalistes ont trouvé que le Président Nicolas SARKOZY n’avait pas apporté de solutions. Qu’en pensez-vous ?
La Présidence française doit durer un an. Vouloir imposer d’emblée des solutions toutes faites pour régler l’ensemble de ces problèmes complexes qui ne peuvent trouver de solutions que dans le consensus, me semble être la meilleure façon d’échouer. C’est vraiment une attitude franco-française. Je rappelle à tous les « y-a-qu’à » que l’agenda des travaux du G20 a été approuvé par tous les chefs d’Etats alors qu’ont été inscrits à l’ordre du jour des sujets qui étaient tabous il y a six mois encore.
Ces avancées n’étaient pas évidentes, on les doit à la détermination du Président Nicolas SARKOZY qui y a consacré beaucoup de temps et d’énergie. Il a pris soin d’associer beaucoup de ses homologues sur des groupes de travail pour obtenir des résultats. C’est ainsi que la Chancelière allemande, le Président russe, le Premier Ministre anglais et bien d’autres sont impliqués. Les organisations internationales, le FMI, les syndicats et les représentants de la société civile sont aussi associés.
Pour être légitime, le G20 doit demeurer efficace, pour être efficace, il faut ouvrir des chantiers de fond qui permettront de présenter des résultats concrets à une opinion publique légitimement impatiente, dans le cadre d’une gouvernance mondiale.
Certains disent que tout cela est peine perdue est que de toute façon c’est le G2 Chine/Etats-Unis qui imposera ses conditions au reste du monde. Qu’en est-il ?
Cela pouvait être une tentation de ces deux grandes puissances, mais là encore la crise est venue balayer ce type de certitude en mettant en avant l’interdépendance des économies. La mondialisation a réduit le monde à un village et ce qui se passe dans un de ses quartiers a forcément des incidences dans tous les autres. Si la Chine a constitué des réserves monétaires importantes, elle s’en sert pour acheter de la dette américaine afin de ne pas ralentir la croissance de ce pays et pour que les Américains puissent continuer à acheter des produits chinois. Ces achats permettent aux usines chinoises de produire et d’éviter à ce pays des problèmes intérieurs (chômage et problèmes sociaux).
C’est ce même raisonnement économique qui a conduit la Chine à acheter de la dette grecque, portugaise et espagnole, car l’Europe est elle aussi un partenaire économique incontournable dont ne peuvent se passer ni les Chinois ni les Américains. Le G2 est une réalité, mais il n’est qu’une instance de dialogue informel bilatéral, certes majeur, mais qui n’a pas une vocation universelle. La mondialisation a relié toutes les économies entre elles, ce qui impose un dialogue et rend l’unilatéralisme sans effet. Plus aucun pays ne peut imposer sa vision au reste du monde.
Ayons présent à l’esprit que le G20 représente 90% du PIB mondial, que lui seul est susceptible de dégager des accords consensuels et de créer une force d’impulsion suffisante pour mettre en place une gouvernance mondiale, ce que n’a pas le G2. Américains et Chinois se sont rendus compte que, sans associer l’Europe et les pays émergents, ils étaient dans une situation «perdant-perdant».
Certes le chemin est long et sinueux, mais des décisions doivent être prises dans l’intérêt bien compris de chaque Nation. C’est à ce prix que la mondialisation pourra être perçue de manière positive par nos concitoyens, mais aussi par le reste du monde. Si nous réglons les problèmes économiques, nous pourrons avoir une action sociale concrète et plus forte.
L’industrie, voilà notre destin
« Elus de terres industrielles, nous avons souvent partagé les combats des ouvriers et de leurs entreprises, combats contre des concurrents déloyaux, combats contre des spéculateurs prêts à déménager leurs machines par une nuit sans lune ; mais leurs joies et leurs espoirs aussi quand un marché nouveau s’ouvrait ou qu’une découverte dessinait un avenir collectif. L’industrie, pour nous, ce sont des hommes et des femmes, des territoires, des chercheurs, mais c’est aussi l’histoire et le destin de notre pays.
Nous sommes attachés à l’idée de politique industrielle parce qu’elle exprime une volonté, le refus du déclin annoncé, une ambition partagée par l’ouvrier, l’ingénieur et le patron. Cette politique est née de la volonté du général de Gaulle, au lendemain de la guerre, de donner à notre pays l’indépendance qui lui avait fait tant défaut : l’histoire lui donnera raison d’avoir lancé le programme nucléaire civil et militaire. Dès 1958, d’autres programmes sont engagés dans des secteurs stratégiques, comme l’aéronautique, les transports et l’industrie spatiale, qui signent, cinquante ans plus tard, la pertinence de cette « politique de puissance », poursuivie par Georges Pompidou.
Nicolas Sarkozy, alors ministre des Finances, a renoué avec cette ambition, en favorisant la construction d’un des premiers groupes pharmaceutiques mondiaux, Sanofi Aventis, en sauvant Alstom de la faillite. Depuis ont été créés les pôles de compétitivité, le Fonds stratégique d’investissement, le groupe Oséo; une politique publique, encore modeste, d’intelligence économique, a été engagée, ainsi qu’une réflexion collective sur l’avenir de notre industrie à travers les états généraux puis la Conférence nationale de l’industrie, qui associe, enfin, comme au Fonds stratégique d’investissement (FSI), les partenaires sociaux.
La crise financière a démontré qu’il ne reste plus que l’Etat quand le marché ne « marche » plus. C’est à lui qu’il revient de donner du sens quand les économies perdent le sens commun ; c’est à lui de garantir la cohésion sociale quand le marché entretient des rentes inacceptables ; à lui encore de définir nos intérêts stratégiques, de conjuguer nos talents.
Nous croyons à l’industrie : parce qu’elle est pour nous le visage de l’économie réelle, dont la crise financière a souligné qu’elle constituait le plus solide pilier de résistance quand tout s’effondrait. Elle est le visage de ses ouvriers et de ses ingénieurs qui font la vitalité de nos territoires, qui donnent un sens à la recherche, construisent nos indépendances, garantissent notre influence commerciale et diplomatique dans le monde.
Mais notre industrie a souffert : à travers des délocalisations, les démantèlements organisés par des spéculateurs et la tyrannie des marchés financiers, elle a perdu 500.000 emplois depuis 2000 et sa part dans le PIB atteint péniblement 14%, derrière l’Allemagne (27%) et même le Royaume-Uni (17%), que l’on croyait désindustrialisé. Elle est attaquée dans ses efforts de développement par une Commission européenne, hostile aux champions nationaux et même européens, qui a réussi à faire de notre continent le seul territoire de développement économique au monde aussi ouvert et aussi offert. Elle est violemment déstabilisée par les efforts des nouveaux pays industriels, à l’instar de la Chine, qui va consacrer, dans les cinq prochaines années, 1.500 milliards de dollars à ses priorités technologiques. Elle est même parfois fragilisée par des organisations non gouvernementales qui entachent sa réputation et ne partagent pas notre conception de l’intérêt général. Peut-on même dire qu’elle est soutenue par les établissements bancaires, suffisamment comprise par nos administrations, véritablement aimée par nos jeunes ingénieurs ?
L’industrie française et européenne affronte une véritable guerre économique. Une guerre, pour l’opinion publique, sans visage et sans image. Une guerre à laquelle nous autres, Français et Européens, ne sommes pas suffisamment préparés, une guerre où nous souhaiterions simplement avoir le droit de lutter à armes égales.
Notre groupe est convaincu qu’il faut se doter, collectivement, Etat, élus, entreprises, syndicats, universitaires et chercheurs d’une audacieuse politique industrielle, d’une nouvelle grille de lecture de la mondialisation aussi, qui n’est ni le paradis des ultralibéraux ni l’enfer des altermondialistes : mais bien le théâtre d’opportunités à saisir et de risques dont il faut se prémunir, sans naïveté ni paranoïa. L’industrie, voilà notre destin ».

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