Un système en dépôt de bilan : contribution au bilan des nationalisations

Conférence à l’Assemblée nationale – Mai 1996


Industriel, banquier et assureur, fabriquant de véhicules et d’emballages, d’appareils de télévision et d’ordinateurs, l’Etat a tout été, tout fait. Le plus souvent très mal, dans l’impunité d’un système excluant tout mode de responsabilité.

Il faut avouer que l’on s’habituerait presque à cette situation dans un pays qui abandonna tardivement le contrôle des prix, mais entretient un maquis de réglementations et d’aides publiques.

Faire le bilan des nationalisations à la française, c’est instruire le procès de l’Etat-patron, mais d’un patron qui n’aurait ni la vocation, ni le talent des entrepreneurs.

Heureusement, il y a deux garde-fous : les contribuables et l’Europe.

Les premiers se sont parfois servis de leur droit de suffrage pour sanctionner les plus traditionnels partisans des nationalisations. Mais ne pouvant par là même s’attaquer au système, ils ont dû, la mort dans l’âme, continuer à payer. De plus en plus cher. L’Europe seule est en passe de réussir, là où les premiers avaient échoué.

Le paradoxe, c’est que celui qui a accéléré la participation de notre pays à la construction européenne, et partant, la dérégulation de nos grands services publics, François Mitterrand, est aussi celui qui avait donné au service public la dimension d’un empire. (…)

Les justifications historiques des nationalisations sont connues : reconstruction du pays, restructuration du tissu industriel, expérimentations d’« oasis sociales », défense de l’indépendance nationale.

Elles ont été longtemps honorables, même si dès 1947, le Général de Gaulle en souligne les limites.

Mais l’entreprise publique n’a pas seulement été cela : elle a servi de prébende à des générations de hauts fonctionnaires, et parfois d’instrument pour des opérations opaques, pour ne pas dire douteuses, à l’instar de la reprise en 1992 des parts détenues dans Adidas par le ministre de la Ville de l’époque, ou dix ans plus tôt, du rachat de la société Vibrachoc.

Diablement coûteux, parfois immoral, ce système a souffert de l’impunité de ses acteurs. Ils en tirèrent leur force : nous en payons, tous, aujourd’hui, l’addition.

Dans une entreprise privée, les sanctions seraient tombées, comme à Gravelotte : discrédit de l’entreprise, poursuites judiciaires à l’encontre de ses dirigeants, dépôt de bilan.

Pour les entreprises publiques, rien de semblable : chaque difficulté est soutenue par le budget de l’Etat, quand ce n’est pas par de nouvelles commandes publiques ; les dirigeants dans le pire des cas, reviennent à leurs corps d’origine, quand ils ne fondent pas une société de conseil en stratégie, ou n’accèdent à la célébrité en livrant leurs réflexions dans d’authentiques succès de librairies.

Pour les uns, le dépôt de bilan, pour les autres le bilan, comme aujourd’hui dans le calme feutré d’une salle de l’Assemblée Nationale…

Il y a tout de même une justice : les défenseurs des nationalisations sont maintenant moins nombreux.

Tous ne se sont pas convertis aux bienfaits de l’économie de marché, mais ils sont bien obligés de constater la faillite du système d’économie administrée.

A gauche, mais aussi à droite, on a cherché depuis quelques années une voie médiane, en s’efforçant de gérer les entreprises publiques avec les méthodes du secteur privé.

Pour les uns, c’était dans l’espérance de réduire des déficits abyssaux, pour les autres dans le souci de ne pas heurter de front, avec des privatisations complètes et l’abandon de statuts protecteurs, des syndicats qui trouvaient là, leur dernière raison d’exister.

Nous voilà donc tous au pied du mur, contraints de limiter les concours publics de l’Etat, et d’attendre les redressements de ces entreprises, avant qu’elles n’affrontent les marchés financiers.

Mauvais entrepreneur et piètre actionnaire, l’Etat se prépare à l’Europe avec l’esprit de celui qui se rendait à Canossa.

Revenons un temps en arrière : en 1982. Les nationalisations des groupes industriels devaient contribuer à la création d’emplois, à leur modernisation, à leur rayonnement international.

Dix ans plus tard, ces groupes avaient perdu 200 000 emplois : Bull, Usinor-Sacilor et Thomson, pour ne citer qu’eux, avaient licencié la moitié de leurs effectifs.

Etait-ce initialement la condition de leur modernisation et de leur rayonnement international ? Il y eut l’ère des plans : plan charbon, plan acier, plan construction navale, filières électroniques ou machine-outil. Soit 100 milliards en dotations de capital : ce qui s’appelle taxer la performance, pour financer les contre-performances.

Encore n’avait-on pas vu les banquiers publics se transformer en capitaines d’industrie.

Soyons honnêtes : il y eut quelques belles réussites, Rhône-Poulenc, Elf, Péchiney, Renault ou l’Aérospatiale. 

L’Europe accélère l’issue de cette coûteuse aventure.

Les usagers et les consommateurs que l’on oublie traditionnellement, ce qui est normal dans une économie qui se défie des lois du marché – ne peuvent y être hostiles. 

Quant aux salariés du secteur public, ils ont été les « dindons de la farce » : nul ne les a préparés à l’évolution de leurs statuts, ni aux contraintes de productivité de leurs entreprises.

Certains en toute candeur, ont cru que l’Europe, c’était pour les autres. D’autres pensent encore que les ressorts de notre droit et le parcours rituel Bastille-République constituent les meilleures des protections. A cesser d’entretenir ces illusions, les gérants d’infortune d’autrefois y gagneraient leur rachat.

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