TRANSPORT AÉRIEN – Alors que la compagnie envisageait de s’équiper en Boeing : faut-il obliger Air France à acheter des Airbus ?

Valeurs actuelles – Juin 2011


L’industrie aéronautique, tout comme l’industrie spatiale, est stratégique depuis longtemps : portée et accompagnée par les États, ses technologies ont une vocation civile et militaire. Le marché mondial est dominé par deux groupes, EADS et Boeing, qui traduisent parfaitement ces caractéristiques : identifiés l’un à l’Europe, l’autre aux États-Unis, ils se livrent une guerre arbitrée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Tout succès dans ce secteur industriel, ou toute défaite, devient extraordinairement symbolique et politique.

L’irruption de puissants concurrents – (de Chine, du Canada, du Brésil), altérera, un jour, ce condominium européo-américain, mais ce sont les succès commerciaux d’aujourd’hui qui financeront et consolideront la recherche et les investissements de demain, garantissant notre avance technologique. 

Si nous voulons nous-mêmes rester une puissance industrielle, il faut faire, élus et entreprises, le choix de l’Europe. Voilà pourquoi l’appel que j’ai lancé avec 172 députés de l’UMP, du PS, du NC et du PC revêt un sens politique : ils sont la voix de 20 millions de Français, issus de tous les territoires ! Un appel durement attaqué, autant par ceux qui ignorent jusqu’à l’existence d’une guerre économique, les « idiots utiles et naïfs du libre-échange », que par ceux qui ont tourné la page de l’histoire industrielle européenne.

Air France doit renouveler prochainement sa flotte de long-courriers, la flotte la plus emblématique d’une compagnie aérienne, déjà composée à 70 % de Boeing ! Elle s’apprêtait, il y a quelques semaines, à renouveler une confiance pleine, entière et étrange au groupe américain.

Pour nous, Air France ne peut être Air Boeing. Grâce à Airbus, l’Europe, qui n’a pas que des réussites à son actif, en a au moins une dans le domaine industriel, symbole fort d’une coopération réussie entre des États. Les contribuables européens ont d’ailleurs apporté leur contribution financière, sous forme d’avances remboursables, régulièrement mises en accusation devant l’OMC par Boeing, pourtant financée elle-même par le Pentagone, la Nasa, des États fédérés et indirectement par des alliés et sous-traitants fidèles, japonais et italiens.

Peut-on nous reprocher d’être fiers de l’Europe et de tirer de cette fierté la confiance et donc le soutien à Airbus ? Peut-on nous reprocher de promouvoir, dans le respect naturel des règles du commerce international, les meilleurs appareils, issus des territoires que nous représentons, des ouvriers et des ingénieurs, qui sont aussi nos compatriotes? Peut-on nous reprocher de défendre et de promouvoir leur travail et leurs talents quand d’autres ne raisonnent qu’à l’aune des cours boursiers ? Et même si Airbus était plus cher que Boeing, il faudrait retenir le constructeur européen, comme l’ont fait les Allemands de Lufthansa à 60 % et les Espagnols d’Iberia à 100 % : il y a des économies qui coûtent cher et des dépenses qui rapportent ! Sommes-nous obligés de nous soumettre aux lois du marché, quand elles sont destructrices de cohésion sociale et si souvent transgressées par nos concurrents américains, toujours enclins à nous donner des leçons de morale dans la compétition, puis de réalisme dans la victoire ? 

L’appel que nous avons lancé ne sera pas sans lendemain : d’abord, parce qu’il est unique dans notre histoire parlementaire ; ensuite, parce qu’Air France ne pourra plus se comporter en entreprise « hors sol », invoquant son indépendance alors même que toute son histoire, sans parler de son nom, la rattache à notre histoire aéronautique ; alors qu’elle fut aussi sauvée de la faillite en 1994 par Édouard Balladur (20 milliards de francs injectés dans la compagnie). Air France compte toujours sur l’État pour lui réserver un usage « optimal » de la plate-forme de Roissy contre des concurrents qu’elle désigne naturellement comme étrangers.

N’ayons pas peur d’être patriotes : c’est l’un des plus beaux mots de notre langue, un des plus nobles comportements répandus dans le monde. Le patriotisme économique, que nous le déclinions à l’aune d’intérêts européens, nationaux ou régionaux, n’est pas un repli frileux derrière d’absurdes murailles : mais la liberté de circulation des hommes, des idées, des capitaux et des technologies est nécessairement confrontée à l’intérêt général qu’expriment les nations et leurs alliances. Le patriotisme économique est une foi dans le talent des hommes, la certitude qu’il n’y a pas de libertés politique, économique et sociale s’il n’y a pas d’industries, supports de notre indépendance et garantes de la paix sociale.

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