RELANCER LA POLITIQUE INDUSTRIELLE : ENFIN !

La Tribune – Janvier 2005


Quel soulagement ! La belle unanimité affichée autour du retour annoncé par le président de la République à une politique industrielle volontariste et de la création d’une agence pour la promotion de l’innovation industrielle clôt, je l’espère, la sinistre période pour notre économie des faux prophètes de la société de la connaissance, des thuriféraires austères d’une politique européenne zélée de la concurrence, des fossoyeurs de l’action publique au service de l’économie. Toutes erreurs fondées sur une compréhension approximative des mécanismes de l’économie de marché et sur une méconnaissance des réalités de la mondialisation. 

Il y a tout juste deux ans, lorsque je débutais ma mission pour le Premier ministre concernant une politique publique d’intelligence économique, parler de politique industrielle ne déclenchait que quelques sourires compatissants ou dédaigneux. Comme quelques observateurs attentifs et doués de mémoire, je note donc avec plaisir la conversion enthousiaste de certains économistes et représentants du patronat à travers leurs derniers rapports. 

Marchés d’avenir. Je crois pour autant que nous ne sommes qu’au milieu du gué. Certes le constat est maintenant partagé : pour pallier aux délocalisations qui vont s’accélérer, il faut combler notre décrochage technologique et créer des activités industrielles nouvelles sur des marchés d’avenir. Notre histoire industrielle et nos réussites emblématiques – Concorde, le TGV, Ariane, Airbus… – montrent que nous avons la capacité de lancer et de mener à terme de grands projets : nous savons les penser, nous avons les grands corps, les ingénieurs pour les développer et les ouvriers qualifiés pour les construire. Mais la seule constitution d’une agence pour l’innovation industrielle sans autre accompagnement ne suffira pas à imposer au marché nos technologies. Le penser serait faire abstraction de l’évolution du monde depuis les Trente Glorieuses. Nous devons inventer un mode de pensée et d’action conforme à notre époque. 

Il me semble d’abord nécessaire d’inviter l’agence à mutualiser les expertises publiques et privées. De même qu’Airbus doit autant à l’expertise administrative et aux décideurs politiques qu’aux industriels, le choix des secteurs d’intervention d’une agence pour l’innovation industrielle ne peut être laissé aux seuls technologues. Il appartient également aux pouvoirs publics, garants de l’intérêt général et seuls dotés d’une capacité de synthèse, voire à la représentation nationale, de participer à ses choix. La vision et le champ technologique retenus constitueraient ce que j’appelle le « périmètre stratégique » de notre économie. 

L’action publique ne peut ensuite se limiter à la seule avance de fonds. Contrairement aux projets des Trente Glorieuses, l’innovation seule ne suffit plus à imposer un produit ou une technologie au marché. La mondialisation de l’économie, l’arrivée des nouveaux acteurs que sont les organisations intergouvernementales, la montée en puissance et l’organisation des ONG impliquent d’accompagner les avancées technologiques par une analyse de leur environnement normatif, juridique, commercial ou financier. Là également, l’Etat a un rôle à jouer. Il serait par exemple intéressant de se pencher aujourd’hui sur les conséquences du début de l’exploitation commerciale de l’espace actuellement lancée aux Etats-Unis. Quel droit va s’imposer dans ce domaine ? Quelles conséquences pour l’industrie spatiale européenne ? 

Ces grands projets industriels s’inscrivent dans la durée. Ils impliquent la mobilisation des meilleurs chercheurs, ingénieurs et ouvriers. Nous devrons donc également accompagner cet effort par une adaptation d’autres politiques publiques : formation, recrutement, attraction de chercheurs étrangers, etc. 

Le dynamisme des PME en matière d’innovation doit également être intégré à ces grands projets industriels. Il y aura ainsi sans doute une articulation à trouver entre les travaux de l’agence et les pôles de compétitivité dont la réalisation est déjà décidée par le gouvernement. Le développement de ces PME innovantes pourrait par ailleurs être favorisé par la mise en place d’un Small Business Act européen. 

Projets européens. Je rejoins enfin l’invitation du président de la République à ce que ces projets industriels soient d’emblée européens. Les implications politiques de ce type de partenariats montrent bien que l’agence pour la promotion de l’innovation industrielle doit être accompagnée politiquement. 

Rien n’empêche par ailleurs de mettre en place dès aujourd’hui au service des grandes entreprises françaises un soutien plus actif et coordonné dans la conquête des marchés stratégiques, marchés de puissance et d’influence – ceux pour lesquels la qualité et le prix ne sont pas les seuls facteurs clés de succès. 

L’efficacité d’une politique industrielle nationale ou européenne repose ainsi sur un « portage politique » au plus haut niveau de l’Etat – ce que vient de signifier le président de la République – et la mise en place de collaborations actives public-privé. L’agence pour la promotion de l’innovation industrielle en est un maillon. Elle ne peut être à elle seule la politique du gouvernement en ce domaine.

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