Réconcilier les Français avec l’impôt

Le Nouvel économiste – Mai 1991


La France est malade de sa fiscalité. Malgré deux cents ans de réformes constitutionnelles ou administratives, notre système est resté complexe, archaïque et antiéconomique. Les taux d’imposition figurent parmi les plus élevés des nations industrialisées. L’efficacité du dispositif de contrôle fiscal est assurée par des méthodes de vérification des revenus souvent inconnues dans les Etats membres de l’OCDE. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les réformes gouvernementales : remise en cause du mode d’indexation de la DGF, alourdissement de l’ISF et des droits de succession, réforme de la taxe d’habitation, retenue à la source et CSG…

Toutes font fi d’une interrogation essentielle : les recettes publiques sont-elles ou non utilisées conformément à l’intérêt général ? L’ampleur de la mauvaise gestion chronique des organismes de Sécurité sociale, les circuits d’alimentation des courtisans, les rapports successifs de la Cour des comptes permettent d’en douter. Il faut donc réconcilier les Français avec l’impôt. Pas facile ! Car les Français, qui s’imaginent fils de la Révolution, vivent encore sous l’Ancien Régime ! L’homo fiscalis, corvéable et vérifiable à merci, doit se libérer. Car l’impôt est virtuellement totalitaire. L’impôt frappe ceux qui travaillent : ce n’est guère encourageant. L’impôt épargne ceux qui savent et peuvent dissimuler : ce n’est guère moral. L’impôt joue avec les libertés : il faut limiter l’impôt à ce qui est nécessaire, moral, rationnel et supportable.

Qui d’autre que le consommateur du service public peut en juger ? Il faut réinventer la démocratie fiscale. La fiscalité est, en effet, l’un des domaines où les violations des droits de l’homme sont à la fois les plus prononcées et les plus fréquentes : la France, patrie des droits de l’homme, est une Roumanie[1] fiscale ! Comment la garantie des droits du contribuable serait-elle assurée, alors que la loi fiscale peut s’arroger le bénéfice de la rétroactivité sous la bénédiction du Conseil constitutionnel ? Comment le serait-elle, dès lors que la législation fiscale constitue un maquis inextricable de réglementations, et que la responsabilité de l’administration fiscale n’est engagée qu’exceptionnellement ? Comment le serait-elle, lorsque sévit sous la forme de vérifications un ostracisme fiscal à l’encontre des catégories socioprofessionnelles qui contribuent le plus à la richesse de la Nation ? Quelle liberté existe-t-il lorsque 45 % de la richesse nationale est administrée, et que les citoyens ne peuvent exercer aucun droit de regard, pas plus que nos représentants, sur le poids et l’évolution des dépenses publiques ? Comment le Parlement pourrait-il octroyer des libertés, lui qui ne dispose pas même de celle de légiférer, puisque 90 % des textes adoptés sont d’origine gouvernementale, et la moitié de ceux-ci d’origine européenne ?

Les procédures référendaires ont le mérite de rendre les choix politiques transparents et d’instaurer entre le citoyen et le pouvoir un vrai dialogue. Suisses et Américains, qui les pratiquent régulièrement, ont compris, avant nous, que la fiscalité irriguait l’ensemble des activités sociales et économiques, et qu’en cela elle constituait pour le citoyen un enjeu d’envergure. En l’absence de ce dialogue, le peuple se détache de ses gouvernants et de ses représentants : réaction naturelle d’un peuple dupé dans une démocratie confisquée. Notre expérience référendaire qui s’est nourrie de questions majeures, notamment institutionnelles, a bizarrement toujours exclu le thème de la fiscalité. Sans justification juridique : les articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de 1789 disposent clairement que les citoyens possèdent le « droit de constater la nécessité de la contribution publique et de la consentir librement, par leurs représentants ou par eux-mêmes ».

L’organisation de ces procédures ne soulève pas plus de difficultés pratiques que philosophiques : une simple loi permettrait d’instaurer au plan local le référendum d’initiative populaire sur les dépenses publiques non obligatoires. Un référendum-cadre serait, en revanche, nécessaire au plan national pour initier une « révolution fiscale » et interroger les Français sur deux problèmes fondamentaux : le droit fiscal, véritable droit d’exception, doit-il, ou non, se soumettre au droit commun national ? Le contribuable français doit-il bénéficier, à l’instar des dispositions régissant le commerce international, de la clause du contribuable européen le plus favorisé, c’est-à-dire des dispositions les plus libérales de la CEE ? Par là même, les Français pourraient imposer à l’administration fiscale la non-rétroactivité des normes, le respect des droits de la défense, la transparence des procédures et l’accès à la totalité du dossier individuel fiscal. A ce prix, ne se réconcilieraient-ils pas avec l’impôt ?


[1] Du temps de la dictature de Nicolae Ceausescu, tombée en 1989.

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