Rationaliser les aides locales aux entreprises

Les Echos – Janvier 1998


Dans un arrêt récent, le Conseil d’Etat a autorisé les communes à céder pour le franc symbolique une parcelle de terrain nu à une entreprise[1]. Pris en section du contentieux – ce qui est peu courant -, cet arrêt met un terme à la jurisprudence contradictoire des tribunaux administratifs en faisant prévaloir les motifs d’intérêt général de la cession, l’existence de « contreparties suffisantes » et la « liberté reconnue aux collectivités territoriales par l’article 4 de la loi du 7 janvier 1982 d’accorder certaines aides indirectes aux entreprises ».

Fermé juridiquement par cette décision, le débat sur l’interventionnisme économique des collectivités territoriales reste cependant ouvert politiquement.

La loi, mais surtout la dégradation de l’emploi depuis le début des années 80, a conduit les élus – en particulier les maires – à développer en matière économique des politiques volontaristes. Nécessaires, elles ont subi la critique : celle des chefs d’entreprise déroutés par la complexité du dispositif public (de 3.000 à 3.500 aides distribuées par l’Europe, d’innombrables guichets d’Etat, les régions, les départements, les communes, les chambres consulaires), la lenteur des procédures (plus d’un an parfois entre l’instruction d’une PAT – prime d’aménagement du territoire – et son versement), l’irrationalité des attributions (« selon que vous serez puissant ou misérable »…) et l’insécurité juridique et fiscale du dispositif. 

La critique des contribuables locaux n’est pas moins fondée: certaines collectivités ont pris des risques excessifs, s’endettant pour les deux générations à venir, opérant aux marges de la légalité, ou se livrant à une surenchère pour attirer des chasseurs de primes ou des projets dont elles ne savaient pas mesurer la rentabilité. Un rapport conjoint de l’IGA et de l’IGF[2] a souligné certains gaspillages à travers le nombre de correspondants (33 !) des collectivités françaises sur le territoire des Etats-Unis. Un département a investi près de 40 millions de francs dans l’acquisition de bureaux à Bruxelles. Un territoire d’outre-mer consacre à sa représentation dans la même ville un budget plus important que ce qu’il retire des fonds structurels européens.

Sources d’incohérences, d’injustices ou de gaspillages, ces aides sont pourtant nécessaires.

Certains, mus par un apparent bon sens, voire par une certaine frustration, échangeraient bien la suppression de toutes les aides publiques contre une diminution substantielle de leurs impôts. Mais ils oublient que nos principaux concurrents européens pratiquent à la fois une fiscalité attractive et une politique énergique d’aides publiques à l’installation; les succès rencontrés par la Grande-Bretagne ou la Catalogne en la matière ne s’expliquent pas autrement.

Car il faut être patriote comme un Français pour s’installer ou se développer dans son pays où les impôts et les réglementations sont les plus accablants du monde occidental ! Les aides publiques, dans bien des cas, font coïncider ce réflexe politique avec la logique économique: en clair, elles limitent les dégâts.

L’Etat, qui a fait des aides un outil d’aménagement du territoire, n’est pas perdant: 1 franc de PAT délivrée pour les investissements supérieurs à 20 millions de francs, rapporte en moyenne 20 francs en TVA, impôt sur les sociétés, taxe professionnelle; en 1995, elle a favorisé l’installation de 13.000 emplois, c’est-à-dire plus que les 11.000 créés la même année dans nos industries manufacturières.

La cession gratuite par les collectivités locales d’un terrain en échange d’emplois apparait dans ce contexte la moindre des choses: il est heureux que le Conseil d’Etat ait pris dans son arrêt la mesure de la concurrence internationale à laquelle nos collectivités sont soumises.

Car, en l’espèce, il ne s’agit pas d’un cadeau aux entreprises: les emplois créés, la taxe professionnelle perçue, les avantages indirects pour une collectivité que sont les nouvelles possibilités de parrainage du tissu associatif local ou l’amélioration du chiffre d’affaires des entrepreneurs et des commerçants locaux, constituent une aubaine pour les municipalités.

L’essentiel est ailleurs: il est dans la clarification et la modernisation des mécanismes d’aides; leur déconcentration proche des lieux de bénéfices; la rationalisation de la prospection d’entreprises à l’étranger.

Dans un rapport remis au Premier ministre l’an dernier[3], je proposais quelques solutions simples. Trop simples sans doute pour emporter l’adhésion d’administrations justifiant leur existence par leur capacité à distribuer. Création d’une direction régionale des entreprises autour des DRIRE[4] et d’une demi-douzaine de services travaillant en ordre dispersé ; élaboration d’un tableau des aides par fonctions économiques (investir, recruter, innover, exporter, etc.); guichet unique de dépôt des projets, en sous-préfectures, celles-ci ayant dès lors la charge de conduire l’entrepreneur dans le maquis administratif ; autorisation pour les collectivités locales d’accorder aux entreprises des avances à taux nul ou fortement inférieur aux taux du marché; remise à plat du dispositif d’aide à l’immobilier industriel ; facilitation des interventions des collectivités locales en matière de capital-risque; assouplissement du régime juridique des sociétés de garantie dites « sociétés Galland » qui permettent de mutualiser les risques ; coordination, enfin, de l’effort de prospection à l’étranger des collectivités locales, dont l’efficacité aujourd’hui est peu mesurable, quand il n’est pas nul.

Bref, il faut substituer le professionnalisme à l’amateurisme, la clarté à l’opacité, l’esprit d’entreprise à la tendance bureaucratique. Voilà le vrai enjeu politique du débat qu’ouvre un arrêt moderne et intelligent du Conseil d’Etat.


[1] 3 novembre 1997.

[2] Inspection générale de l’administration; Inspection générale des finances. 

[3] Rapport sur les aides publiques aux entreprises remis à Alain Juppé, septembre 1996. 

[4] Direction Régionale de l’Industrie et de la Recherche.

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