Valeurs actuelles – Février 2007
Le patriotisme économique dérange ceux qui ne savent plus ce qu’est leur patrie – s’ils l’ont jamais aimée -, ceux aussi qui veulent purifier l’économie de toute influence politique. Ils sortent leur petit drapeau à la victoire de nos footballeurs, mais ont renoncé à construire la puissance et le rayonnement économiques de leur pays à travers le plus noble et le plus ancien des sentiments collectifs : « le patriotisme, c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des autres », résume Romain Gary.
Théoriciens d’un libéralisme de laboratoire, ils rêvent d’une mondialisation qui effacerait les Etats-nations, sacrifiant nos intérêts et notre statut à l’intégrisme du tout-marché. « Ah ! Les cons ! », disait Daladier de la foule qui l’accueillait à l’aéroport du Bourget, au retour des accords de Munich…
Car, depuis la fin de la guerre froide, la mondialisation s’est transformée en une véritable guerre économique entre entreprises, entre Etats, au sein même des organisations internationales : pillage technologique, dumping fiscal et social, déstabilisation d’institutions, guerres et coups de force pour la maîtrise de l’énergie, construction de monopoles, en particulier dans les technologies de la communication et de l’information, espionnage industriel, autant de perversions d’un marché sans garde-fou, source d’insécurités, de désordres, d’injustices et de dépendances, souvent brutaux et soigneusement dissimulés.
Le « patriotisme économique », concept que j’ai lancé il y a plus de trois ans, et auquel s’adosse une nouvelle politique publique d’intelligence économique, n’est évidemment ni un protectionnisme, ni un nationalisme ou une ligne Maginot économique et sociale ! Il est, au contraire, une politique d’identification de nos intérêts stratégiques, de défense et de promotion de ceux-ci, nationaux ou européens, inspirée des outils, des méthodes et des institutions créés par nos grands concurrents, traduisant notre volonté de lutter avec eux à « armes égales » : la réponse, sans naïveté, ni paranoïa, aux dangers et aux opportunités de la mondialisation.
Une politique de puissance nous affranchissant des tutelles dans les secteurs stratégiques – énergie, défense, pharmacie, technologies de l‘information et de la communication, espace -, puissance faisant respecter nos valeurs : force du droit contre droit de la force, transparence contre opacité, réciprocité contre unilatéralisme. Puissance dénonçant les déloyautés de nos concurrents : interdiction d’OPA hostiles au Japon, subventions publiques massives à Boeing et Bombardier, contournement de la convention OCDE sur la corruption, fabrication des classements internationaux. Puissance enfin, faisant respecter nos normes éthiques, environnementales et sociales.
Le patriotisme économique, au fond, est bien mieux vu à l’étranger, n’en déplaise à nos libéraux-pacifistes, aveuglés : Montedison, Fiat, en Italie ; Mannesmann, Volkswagen, Nivea, en Allemagne ; Unocla, IBM aux Etats-Unis ; Centrica en Angleterre ; Endesa en Espagne… Partout dans le monde, et surtout dans la grande patrie du libéralisme, les Etats-Unis, la puissance publique organise la protection de ses acteurs économiques majeurs ou symboliques, les accompagne dans la conquête des marchés mondiaux, pèse dans les organisations internationales, sur l’élaboration des normes juridiques et des règles techniques, associe autour de stratégies collectives, entreprises, ONG et fondations.
Pas en France, hélas, où le patriotisme n’est pas une valeur suffisamment partagée par ses élites, à l’exception de Nicolas Sarkozy, qui organise le redressement d’Alstom et le mariage de Sanofi et d’Aventis, engage le ministère de l’Intérieur dans une vraie politique d’intelligence économique.
Le patriotisme économique exprime le primat du Politique, l’évidence que le capitalisme ne peut s’humaniser que s’il s’appuie sur des collectivités librement choisies. Le Politique, c’est la démocratie ; le marché sans le Politique, c’est la jungle. Il faut décidément n’être ni démocrate, ni lucide, pour rester étranger au patriotisme économique.

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