Le Figaro – Juillet 2013
L’industriel pharmaceutique tarnais, qui vient de disparaître, était un modèle et un guide, merveilleusement attachant, pour ceux qui ont eu la grâce de partager, avec lui, des moments de vie.
Dans notre pays, resté si marqué par des origines rurales où la réussite se dissimule, marqué aussi par une culture politique où l’entreprise est l’épicentre des luttes de classes, Pierre Fabre a su, en cinquante ans, ancrer son groupe dans son terroir, partager sa réussite avec le plus grand nombre et l’engager à la conquête des marchés mondiaux.
Fidèle à ses racines, il a été un mécène généreux, discret et désintéressé, portant au plus haut niveau le rugby castrais et soutenant, avec le même enthousiasme, une multitude de clubs et d’associations, finançant, souvent à titre personnel, la restauration d’une église ou la reprise de vergers en difficulté pour soutenir l’emploi local.
Lui qui s’est toujours tenu à l’écart de la lumière, connaissait parfaitement les règles d’une bonne communication, dont il soignait, notamment lors de visites impromptues de pharmacies, les moindres détails.
Mais Pierre Fabre était aussi un visionnaire, anticipant la réussite internationale d’un modèle économique mariant santé, nature et beauté -, terroir et ouverture au monde.
Alors que tant de chefs d’entreprise confient aux marchés financiers comme aux réseaux parisiens ou anglo-saxons l’avenir de leur groupe, Pierre Fabre a développé une audacieuse et généreuse gouvernance : en réinvestissant tout dans son groupe, en menant une vie discrète loin du tape à l’œil, en ne cessant de créer des emplois « au pays », en préservant la paix sociale, en stimulant sans cesse par des commandes, du tutorat de jeunes talents ou des prises de participation le tissu économique local, en promouvant auprès des pouvoirs publics le désenclavement de son territoire, en ouvrant son capital à ses salariés auquel 90% d’entre eux ont souscrit.
Foncièrement optimiste et créatif, respectueux des personnes, doté de convictions fortes (il était propriétaire de l’hebdomadaire Valeurs Actuelles), amoureux de son pays et de la vie, Pierre Fabre n’avait qu’une seule inquiétude : la pérennité de son groupe après sa disparition, l’avenir des familles tarnaises, aussi, dont il parlait avec tendresse et qui le pleurent aujourd’hui.
C’est ainsi que, pour préserver son groupe, après lui, d’un démantèlement commandé par la fiscalité française, j’ai imaginé une solution juridique simple, inspirée de modèles étrangers.
Une doctrine constante du Conseil d’Etat s’opposait à ce qu’une fondation détienne la majorité des parts ou des actions d’une société.
Un amendement à la loi Dutreil fit sauter ce verrou. Le dispositif fut voté à l’unanimité de l’Assemblée nationale en juillet 2005, et Pierre Fabre, peu après, dota sa fondation de 65 % de ses parts.
Il est, hélas, encore, le seul chef d’entreprise en France à avoir eu cette générosité patriotique, enracinant durablement son groupe dans le Tarn.
Sa fondation, dédiée à des actions humanitaires, l’accès des populations déshéritées d’Afrique et d’Asie aux médicaments d’usage courant, dispose désormais de moyens financiers adaptés.
On se plaît à rêver que d’autres chefs d’entreprise s’inspirent d’un homme qui illumina la vie de beaucoup -, et humanisa, comme personne, l’entreprise française.
Merci, Monsieur…

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