Marché et stratégie industrielle ; Vers un meilleur partenariat public-privé ?

Le Figaro – Mai 2004


Le poids des charges et des réglementations constitue le handicap le plus connu de l’économie française. Mais il faut y ajouter le carcan de l’idéologie : éloge pour certains de la dépense publique et de son corollaire l’impôt ; dogmatisme du marché pour d’autres. 

La vision des premiers – principalement des socialistes ! – prévaut dans les réglages économiques intérieurs ; celle des seconds – les libéraux, pas tous à droite ! -, dans notre grille nationale de lecture de la compétition internationale. Boulets aux pieds et naïveté au cœur, les Français ont oublié depuis longtemps de se protéger des prédateurs et ne se sont pas dotés des outils destinés à affronter la guerre économique mondiale. 

Jusqu’à ces derniers jours, à la différence des Anglo-Saxons, les Français n’avaient jamais identifié les marchés « stratégiques » : ceux où ne prévalent pas les critères classiques d’arbitrage fondés sur le prix et la qualité des produits, mais où les Etats, les ONG, les fondations défendent leur puissance et leur influence à travers les services, la recherche et l’industrie. Ces marchés sont, entre autres, ceux de l’énergie, de la défense, des télécommunications, de l’aéronautique, de la pharmacie. Pour les besoins de leurs conquêtes commerciales, les Etats les plus libéraux de la planète ont créé des institutions offensives, des procédures de mutualisation d’expertises publiques et privées, créé aussi des réseaux d’universités, de laboratoires, de fonds d’investissement. Partout, hommes, idées, technologies et capitaux circulent librement au profit d’un dessein collectif. 

Cette politique publique d’identification des secteurs et des technologies stratégiques, d’organisation de la convergence des intérêts entre la sphère publique et la sphère privée porte un nom : « l’intelligence économique ». L’aide à la constitution du troisième groupe pharmaceutique mondial autour de Sanofi, le sauvetage d’Alstom, demain peut-être l’organisation de la coopération entre EDF et GDF pour la conquête des marchés mondiaux de l’énergie constituent autant d’illustrations heureuses de la stratégie industrielle du gouvernement Raffarin, que j’appelais de mes vœux depuis plus d’un an. 

Il était temps ! Beaucoup reste à faire. Par exemple, le dessin du périmètre stratégique de l’économie française et européenne, la définition d’une doctrine de sécurité économique, la constitution d’un fonds d’investissement public-privé dédié aux technologies critiques. Il s’agit bien de réflexion et d’actions collectives auxquelles les acteurs économiques doivent être associés. C’est d’ailleurs le sens de la Fondation d’entreprises Prométheus qui sera lancée dans les jours qui viennent. 

Les années 90 avaient mythifié le marché. Peu refroidies par l’éclatement de la bulle immobilière au début des années 90, certaines de nos élites annonçaient récemment encore l’effacement des Etats au profit d’une autorégulation économique qui s’accompagnerait, notamment grâce au développement des technologies de l’information, d’un enrichissement général ! Les grands hommes de cet âge d’or virtuel étaient les chantres de la « création de valeur pour l’actionnaire », ceux qui s’enrichissaient vite et considérablement à coup de stock-options, de « golden hello » ou, s’ils n’étaient pas suffisamment rapides dans la performance, de « golden parachutes ». L’éclatement de la bulle Internet passant par là, on sait ce qu’il est advenu des pérégrinations de ces aventuriers de l’argent des autres : beaucoup d’emplois détruits et d’argent évaporé. 

Les grands scandales financiers Enron, Parmalat, le développement de la grande délinquance financière et du blanchiment d’argent auraient dû achever de convertir à l’évidence les plus rétifs : le marché sans garde-fous, au sens propre du terme, mène au chaos et à l’injustice sociale. Et puis le développement de pandémies (le sida), des catastrophes industrielles comme l’Erika, le réchauffement climatique, l’apparition de nouvelles maladies comme le Sras sont autant de sujets pour lesquels le marché n’a ni jumelles, ni même une bonne paire de lunettes… 

Le destin de la France et de l’Europe doit s’incarner, non dans un cours de Bourse, mais dans une volonté politique : celle de favoriser le multilatéralisme et de faire respecter dans l’ordre commercial mondial, comme dans les conflits armés, la force du droit contre le droit de la force. C’est à cette condition que nous transmettrons aux générations futures une France influente dans une Europe puissante, un pays qui sera autre chose qu’un hypermarché au centre d’un champ de ruines sociales. 

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