Les Américains Warren Buffett et Bill Gates auraient convaincu une quarantaine de milliardaires de leur pays de verser la moitié de leur fortune à des organisations caritatives. Cette initiative, une merveilleuse nouvelle pour les bénéficiaires, est une réponse intelligente et habile à la mauvaise image ressentie par l’opinion publique à l’égard du monde de l’argent depuis la crise financière de 2008.
La disgrâce de ce milieu, dans notre pays, est aussi importante mais beaucoup plus ancienne : la France est restée marquée par ses attaches avec le monde rural où la réussite se dissimule ; le poids du catholicisme, la marginalisation historique du protestantisme qui n’entretient pas à l’égard de l’argent la même suspicion, la prégnance d’une culture politique marquée par la lutte des classes et le marxisme ont construit un réflexe majeur de réticence à l’égard des élites de l’argent.
Il n’est pas besoin de souligner combien ce réflexe a dégradé l’image des chefs d’entreprise et de ceux qui, d’une manière plus générale, ont acquis des moyens considérables par leur intelligence et leur ténacité.
Le président de la République a raison de vouloir mettre un terme à cette stigmatisation antiéconomique, et donc antisociale, tout comme il a eu raison, dans ses engagements internationaux, de promouvoir de nouvelles règles de régulation financière et des modalités nouvelles de taxation de la spéculation. Là est sans doute la voie de ce que l’on a appelé la « moralisation du capitalisme », même si celui-ci – simple mode de production et non philosophie de vie – ne peut être en soi « moralisable » : seuls les comportements des organisations sociales et des individus peuvent l’être.
Il existe, cela dit, en France, depuis quelques années, un dispositif juridique qui réconcilie l’intérêt privé avec l’intérêt général : la possibilité, pour les fondations, de recueillir la majorité des parts ou des actions de sociétés industrielles et commerciales. Ce dispositif législatif, que j’avais fait voter à l’unanimité de l’Assemblée nationale en juillet 2005, offre le mérite de protéger les entreprises familiales de prédateurs financiers, le plus souvent internationaux, toujours à l’affût de successions désastreuses pour les familles et le tissu industriel local. En outre, ce dispositif permet de doter les fondations, dédiées à des actions humanitaires, de moyens financiers adaptés à leurs ambitions et dynamiques puisqu’ils sont adossés à un « patrimoine vivant ».
Curieusement, ce dispositif juridique « moral » n’a été, dans notre pays, utilisé, dans la discrétion, que par un seul chef d’entreprise, le fondateur et président des laboratoires pharmaceutiques, Pierre Fabre, qui a « logé » les deux tiers de ses actifs dans sa fondation éponyme.
Qui, de nos milliardaires, demain, en France, s’inspirera de cette intelligente générosité ?

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