Les échos –septembre 2015
La mondialisation n’est « heureuse[1] » que pour les bisounours : présentée dans les années 90, au lendemain de l’effondrement de l’empire soviétique, comme l’avènement d’une ère pacifiée de prospérité partagée et de libre-échange généralisé, la mondialisation n’a pas mis un terme à l’Histoire ni à celle des Etats-nations.
Elle est bien au contraire la scène d’un « champ de bataille » où les entreprises se livrent une guerre sans merci, une guerre « totale et générale » où le « relâchement ne pardonne pas »[2] .
L’observation de François Mitterrand, si lucide, est confortée par les faits : disparition en France des filières de l’aluminium, du textile et de l’acier, amputation d’Alstom, scandales Wikileaks et Snowden, guerres monétaires, activisme des fonds-vautour, embargos, condamnation de la BNP à une amende exorbitante sous couvert de l’extra-territorialité américaine, consolidation de monopoles dans les technologies de l’information et l’utilisation des données numériques, à titre d’exemples…
Les affrontements sont particulièrement rudes dans les secteurs stratégiques[3] où les Etats n’ont jamais laissé le soin à la « main invisible »[4] de réguler les marchés.
Le secteur financier a semblé longtemps étranger aux conflits nationaux : un actionnariat libéré depuis longtemps de la présence de l’Etat, une culture par essence mondialisée assumée par ses dirigeants, le secteur financier ne connaît pas, par tradition, de frontières et n’a donc que rarement réclamé des pouvoirs publics protection et accompagnement. Récemment, pourtant, le président des fédérations bancaires française et européenne[5] tirait la sonnette d’alarme, invitant l’Europe à conserver (ou regagner) sa « souveraineté financière ».
Car en dépit de l’influence anglo-saxonne notoire sur ce secteur, la France a des champions « mondiaux » : quatre banques (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, BPCE), mais aussi Amundi pour la gestion d’actif, ou encore AXA pour l’assurance, dont la présence dans notre pays constitue un atout extraordinaire pour nos entreprises, notamment industrielles ; l’offensive commerciale d’Airbus contre Boeing pourrait-elle être secondée par des banques américaines ?
Or, plusieurs sujets mettent en lumière le dangereux contexte normatif international qu’affronte désormais « notre » secteur financier.
- Le gouvernement français a engagé la promotion de la taxe sur les transactions financières européennes. Pourquoi donner aux concurrents de la place de Paris un tel avantage compétitif ? Pourquoi d’ailleurs ce projet, opportunément associé au financement des enjeux de la COP 21, ne réunit-il que onze pays – le Royaume-Uni, le Luxembourg et les Pays-Bas se tenant prudemment à l’écart ? Plusieurs acteurs publics et privés français ne s’y sont pas trompés et viennent d’adresser une lettre ouverte à François Hollande dans ce sens, chiffrant entre 30 000 et 70 000 le nombre d’emplois que nous pourrions perdre.
- Après un accord invraisemblable au Conseil Ecofin de juin dernier, le Parlement européen discute d’un projet de règlement sur la structure des banques. Entre la dérogation britannique initiale et une clause « de minimis » apparue subrepticement juste avant l’Ecofin, exemptant les grandes banques américaines installées à Londres, les contraintes futures sur les activités de marché ne concernent pour l’essentiel que quatre banques françaises.[6],[7] Au moment même où les financements de marché se développent par le crédit bancaire… On ne s’étonnera pas que des ONG instrumentalisent ce texte, à l’instar de Finance Watch dont plusieurs membres appartiennent aussi à Transparency International. Deux membres de cette organisation sont en effet liés à la très subjective Transparency International, proche des cercles de pouvoir anglo-saxons et dont les travaux stigmatisent régulièrement notre pays. Selon son rapport financier de 2014, le deuxième plus gros financier privé de Finance Watch est, par ailleurs, l’Open Society Initiative for Europe, chaperonnée par le financier George Soros. Un comble quand on lit quelques lignes plus bas que « Finance Watch n’accepte pas de financements venant de l’industrie financière ou de son lobby. » Soros, « l’homme qui fit sauter la banque d’Angleterre » et fut condamné pour délit d’initié dans « l’affaire » de la Société Générale, finança également les révolutions colorées d’Europe de l’Est, comme il l’admit au cours d’une entrevue sur CNN ; il dispose aussi de puissants relais dans l’administration américaine. Le premier bailleur de fonds privé de Finance Watch est l’Adessium Foundation, organisation néerlandaise qui finance également Transparency International. Les Amis de la Terre et Oxfam, qui attaquèrent dans un rapport récent EDF et Engie, entreprises françaises stratégiques, sont elles aussi deux organisations membres de Finance Watch… Trop de « hasards » tuent le hasard.
- La réglementation bancaire, élaborée dans le secret du Comité de Bâle ou du Conseil de stabilité financière, semble bien souvent spontanément mieux adaptée aux structures bancaires américaines qu’aux banques du continent européen, et notamment françaises. Mais, sans doute encore par le fait du hasard. Ainsi du « ratio de levier » : le nouveau « modèle » de la réglementation bancaire pèse sur la taille des bilans et pénalise les banques, encore françaises (!), qui conservent les crédits dans leur bilan, alors que les banques américaines s’en délestent massivement, grâce aux grandes agences publiques Freddy Mac et Fanny May qui les leur achètent. Idem du TLAC (Total Loss Absorbtion Capacity ou matelas de titres mobilisables afin d’absorber les pertes bancaires), en discussion au conseil de stabilité financière, dans la perspective d’un accord à l’automne du G20. Ce projet impose aux grandes banques de détenir de grandes quantités de dettes mobilisables en cas de problème, toute la dette émise par les « holding » des grandes banques américaines est considérée comme statutairement éligible si bien qu’il leur sera beaucoup plus facile qu’à leurs concurrentes, notamment françaises, de respecter les nouvelles exigences. Des exigences que les autorités américaines souhaitent, évidemment, durcir…
- L’affaire de BNP Paribas aux Etats-Unis nous donne un avant-goût de la « bienveillance » américaine si le Traité transatlantique venait à s’appliquer. La banque française a été condamnée à payer une amende de neuf milliards de dollars pour avoir effectué des transactions avec des pays frappés par l’embargo américain. Les opérations se sont pourtant déroulées, pour la plupart, à Genève, et BNP Paribas n’a violé ni le droit français, ni le droit européen, ni les règles de l’ONU. Le département américain des services financiers s’est néanmoins déclaré compétent pour juger l’affaire au motif que les échanges étaient libellés en dollars, monnaie de réserve internationale depuis les accords de Bretton Woods. Si toute opération négociée en dollars continue à donner le prétexte aux Etats-Unis pour imposer leur droit de manière extra-territoriale, les dispositions du TAFTA ne feront qu’affaiblir un peu plus nos banques dans la guerre économique. Et ce, d’autant que la règlementation bancaire est totalement dissymétrique. Une banque étrangère ayant une activité aux Etats-Unis doit la capitaliser comme si elle était autonome. Qui s’étonnera que l’Europe n’ait pris, devant le veto américain, aucune règle de même nature vis-à-vis de banques américaines exerçant sur son territoire ?
- La COP21 elle-même, place plusieurs banques françaises sur la sellette, à travers les attaques que leur livrent des ONG : le « dossier de la rentrée » publié par les « Amis de la Terre » en cible trois : BNP Paribas, nominée dans le top 10 des « banques les plus climaticides au niveau international » par EarthLife Africa Johannesbourg – qui ne donne aucune information sur ses financements – ou encore GroundWork (partenaire des Amis de la Terre aux financeurs introuvables), la Société Générale, accusée d’aggraver la crise climatique en soutenant les investissements dans le charbon, le Crédit Agricole enfin, qui serait « la seule banque internationale impliquée dans le projet de centrale à charbon de Plomin C en Croatie », un projet qui causerait « 680 morts prématurées », le temps d’existence de la centrale ![8]
Les nouvelles contraintes règlementaires, mais aussi le jeu trouble mené par certaines ONG, particulièrement et habituellement virulentes contre la France, souvent issues d’une mouvance gauchiste, comme Attac, ou de réseaux anglo-saxons, risquent de lourdement pénaliser nos champions nationaux.
Il est pour le moins étrange que des syndicats français s’associent de manière masochiste à cette manœuvre, au moment où la désintermédiation progresse et où de gigantesques conglomérats financiers américains, nés des décombres de la crise de 2008, lancent une offensive commerciale sur le continent européen.
Cette fois les missiles sont à l’ouest et les pacifistes à l’est : François Hollande aura-t-il la lucidité qu’eût son prédécesseur en 1983, quand la sécurité de notre continent était en jeu ?
[1] Minc (Alain), La mondialisation heureuse, Pocket, 1999.
[2] François Mitterrand, Lettre à tous les Français, avril 1988.
[3] La Défense, l’Energie, la Santé, l’Aéronautique, le Spatial, les Technologies de l’information, notamment.
[4] Selon l’expression d’Adam Smith
[5] Frédéric Oudéa, in Les Echos, 14 septembre 2015.
[6] http://www.fbf.fr/fr/espace-presse/communiques/reforme-structurelle-des-banques—l’europe-va-t-elle-confier-le-financement-de-son-economie-aux-seuls-acteurs-de-la-city
[7] En fait, cela n’a rien d’étonnant : selon un gérant de portefeuille auditionné par la commission des Finances de l’Assemblée nationale, la semaine dernière, les banques américaines ont arrêté la mise en place de toute nouvelle régulation en 2011, tandis que le régulateur européen et la Commission européenne continuent d’imposer de nouvelles réglementations génératrices de distorsions de concurrence.
[8] Ce chiffre de 680 décès est introuvable. Il est calculé selon le nombre d’années d’existence de la centrale qui « prévoit » 17 morts annuels. Ce dernier chiffre provient d’un rapport de la section croate de Greenpeace…

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