20 août 1997
La réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ans joue, sous la Vème République le rôle de l’Arlésienne… Cette réforme n’est pourtant qu’une mauvaise réponse à une question inutile.
Deux arguments reviennent comme une antienne chez les défenseurs de cette réforme : le quinquennat permet au peuple d’exprimer à intervalles plus rapprochés son jugement sur la politique du chef de l’Etat ; il conjure les risques de crise politique en cas de non-concordance des majorités présidentielle et parlementaire.
Aucun de ces arguments n’est sérieux.
Le quinquennat n’évite pas le risque de non-concordance des majorités. Sa logique repose en effet sur la simultanéité des consultations présidentielle et législative. Mais que se passerait-il en cas de démission du président (comme en 1969), de décès de celui-ci (1974), ou d’empêchement ? Le président devrait-il démissionner dès lors qu’il a fait usage de son droit de dissolution ? Soyons réalistes : il ne dissoudrait plus, si ce n’est juste avant le terme de son mandat. Or le droit de dissolution est une arme essentielle pour le chef de l’Etat : il est destiné à sanctionner une majorité infidèle ou à rendre le peuple arbitre d’un conflit entre le Président et la représentation nationale (1962), à donner un « nouveau souffle » de légitimité au Président à l’occasion d’un « tournant » du mandat (1968, 1997), à harmoniser enfin les majorités au lendemain d’une élection présidentielle (1981, 1988).
Nul n’ignore que la désuétude du droit de dissolution après l’échec de Mac Mahon sous la lllème République (1877), ainsi que les conditions étroitement définies de son emploi par la Constitution de la IVème République, ont favorisé l’installation d’une « souveraineté parlementaire » dans notre pays, et accentué l’instabilité gouvernementale.
La dissolution, corollaire naturel de la responsabilité gouvernementale en régime parlementaire, est l’instrument de la stabilité des majorités. Il faut donc préserver son usage de toute atteinte.
Pour certains, l’institution d’une vice-présidence répondrait au problème de la vacance de la présidence ; mais on se souvient de la sarcastique objection du Général de Gaulle : « en me serrant la main tous les matins, il me tâtera le pouls pour savoir si je vais bientôt mourir ». Quel serait d’ailleurs le poids politique de ce successeur ? Les exemples fournis par le fonctionnement de la démocratie américaine témoignent de l’inanité de cette formule.
Le quinquennat modifierait donc en substance la nature de la fonction présidentielle. Car le pouvoir s’inscrit dans le temps : à durée égale, la légitimité présidentielle et la légitimité parlementaire seraient en concurrence. La durée est la condition de l’efficacité, de la stabilité, de l’autorité. En somme, du prestige. Léon Blum et Pierre Mendès-France qui ont gouverné dix-huit mois au total, ne pèsent pas à l’évidence du même poids historique que Charles de Gaulle.
Cinq ans, c’est aussi trop court ! L’espérance du renouvellement dominera, comme aux Etats-Unis, la pensée et l’action du président : un an pour se former, un an pour se préparer à une réélection, il restera trois ans d’exercice effectif. Or cinq ans, c’est aussi l’horizon le plus fréquemment utilisé pour la prévision et l’action économiques.
Enfin les échéances électorales sont déjà bien nombreuses en France : municipales, cantonales, législatives, régionales, présidentielles, sans oublier les européennes, et demain, peut-être, les consultations référendaires…
Quels que soient les avantages supposés du quinquennat (popularité accrue, alternance plus facile), les inconvénients d’une telle réforme l’emportent largement. La Vème République a déjà largement évolué depuis ses origines : interventionnisme présidentiel, extension du rôle du Conseil Constitutionnel, renforcement du poids des partis politiques…
Le septennat reste le dernier « verrou » du système bâti en 1958. L’acharnement des opposants traditionnels à l’esprit de la Vème République est en soi un indice : le quinquennat serait bien évidemment l’instrument du rééquilibrage des pouvoirs !
Certains de ses partisans aspirent en toute bonne foi au modèle institutionnel américain : en découlait autrefois l’idée d’instaurer dans notre pays une Cour Suprême jugée plus apte que notre système juridictionnel à défendre les libertés. On s’est aperçu à cette occasion « qu’il y a, comme l’écrivait Chamfort, des sottises bien habillées comme il y a des sots bien vêtus »…
Ce thème ne fait plus recette, mais le quinquennat refait surface : aux admirateurs naïfs de la démocratie de Washington, se sont alliés aujourd’hui certains des plus anciens défenseurs de la Vème République, comme Pierre Mazeaud.
L’aggiornamento de ces derniers est plus dangereux pour nos institutions que la persévérance des premiers.
Contre la « République des camarades », il est urgent de protéger l’institution présidentielle dans sa durée et son autorité.
L’une des plus inopportunes réformes de Jacques Chirac.
L’idée d’un septennat non renouvelable progresse, tandis que le bilan du quinquennat s’alourdit.

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