Préface de «Lavaur, une nouvelle capitale aux portes de Toulouse» (Editions Privat – 2010)
Cité millénaire, Lavaur porte les contradictions, les tourments et les enthousiasmes populaires de son histoire. Une histoire marquée par la géographie des guerres qui se succèdent durant le premier millénaire de l’ère chrétienne : sa région est située au carrefour des Volques et des Ruthènes, plus tard des Francs et des Wisigoths, auxquels succèdent les musulmans ibéro-berbères dont le danger est durablement écarté par la conquête de la Catalogne (811). Les noms de lieux, l’art funéraire, portent la trace de ces influences extérieures qui s’interrompent à l’époque féodale, dans la montée en puissance de la principauté toulousaine.
Cette période, à la charnière de deux millénaires, signe la naissance de Lavaur, dont l’importance va se mesurer rapidement : Isarn, l’un des descendants des premiers seigneurs de Lavaur, devient évêque de Toulouse. La fondation de Lavaur est ainsi indissociable de l’Histoire religieuse : du don d’Isarn des ruines de Saint-Élan, et de terrains donnés en 1098 aux bénédictins de Saint-Pons-de-Thomières, date de la création d’un prieuré et d’une église (Saint-Alain), Lavaur deviendra, deux cents ans plus tard, le siège d’un évêché. C’est là que s’installeront, du XIIIe au XVIIe siècle, de nombreuses congrégations, fécondes et généreuses.
Vassaux des Trencavel, les seigneurs de Lavaur sont naturellement protecteurs des hérétiques. Lavaur, où vivent, selon la trilogie médiévale, ceux qui prient, ceux qui guerroient et ceux qui travaillent (orant, pugnant et laborant), est cathare, et paiera cher sa tolérance : ici va s’ériger le plus grand bûcher de la « croisade des albigeois ». C’est à Lavaur aussi que se tient le concile où Raimond VI, comte de Toulouse, jugé « indigne de toute grâce et de tout bienfait », est accablé par les prélats, émissaires d’Innocent III, à l’instar du comte de Foix, de Bernard de Comminges et de Gaston de Béarn. Le concile de Lavaur est ainsi le théâtre d’un conflit majeur entre droit féodal et droit canonique, entre liens d’honneur et de protection, et devoirs spirituels.
La médiation – très opportune – de Pierre II d’Aragon sanctionne la rupture de l’Occitanie avec la Couronne de France : c’est en quelque sorte à Lavaur que naît l’État occitano-catalan, s’étendant de l’Aragon et du Béarn aux Alpes. C’est bien dans ce creuset que va se forger l’identité de Lavaur.
Au massacre de mai 1211, succède une vigoureuse reprise en main spirituelle, assurée par les franciscains. Leur choix, par l’Eglise, n’est pas innocent, là où le catharisme a exprimé une révolte morale contre la décadence des mœurs ecclésiales…
Un vaste diocèse est dessiné de Giroussens à Labastide-Rouairoux ; il s’approprie la vallée de l’Agout, une partie du Lauragais, contourne Castres pour englober le pays mazamétain et les contreforts de la Montagne Noire. Durant cinq siècles, trente cinq évêques s’y succèdent ; l’un d’eux, Jules de Médicis, deviendra pape en 1521 sous le nom de Clément VII.
D’autres grandes figures marquent l’histoire de l’évêché : Georges de Selve, fils du premier président du parlement de Paris, Pierre Danès, précepteur d’Henri II…
Les franciscains sont rejoints par les sœurs clarisses, les capucins, les pénitents bleus et les pénitents blancs, les sœurs de la Croix, enfin…
A celles et ceux qui seront jugés « ennemis de l’intérieur » par la Révolution, on doit tant, pourtant ! Les soins apportés aux pestiférés et aux malheureux dans l’hôpital fondé par Mgr de Mailly, une vie spirituelle aussi, qui s’épanouit dans les monuments (l’église Saint-François, le palais épiscopal), l’art (un orgue monumental installé au XVIe siècle) ou l’enseignement.
Devenue légitimiste, la ville ne se donne guère à l’esprit de la Réforme qui souffle en Languedoc et ravit à l’Eglise ses élites : Lavaur résiste – cette fois avec succès – à l’armée de Rohan, qui masse pourtant, au pied de ses remparts, 3 500 cavaliers et fantassins.
La Révolution supprime l’évêché. Les pillages de l’époque thermidorienne n’épargnent pas notre cité, mais ces exactions produisent un choc salutaire : le coup d’Etat du 18 brumaire de Bonaparte – dont on attend le retour à l’ordre et la stabilité – est accueilli avec joie. Dans la nouvelle organisation administrative française, Lavaur trouve sa place avec la création d’une sous-préfecture, hélas supprimée par Poincaré en 1926, au nom, déjà, de nécessaires économies budgétaires…
Carrefour de cultures, irrédentiste puis légitimiste, Lavaur est aussi une cité inspirée : celle du poète occitan Lucien Mengaud, dont l’ode à Toulouse inspirera le chanteur Claude Nougaro. Elle est celle aussi de Philippe Pinel, à qui l’on doit la psychiatrie moderne : le respect de la dignité du dément.
Cité inspirée, Lavaur devient au XIXe siècle une cité républicaine : Gabriel Compayré est, auprès de Jules Ferry, l’auteur des lois sur l’instruction publique, et le général Bressolles, l’artisan de la colonisation en Kabylie.
Mystique et républicaine, Lavaur est une cité de patriotes à l’instar, notamment, de l’abbé Raymond Cayré, de Jacques Besse, d’Yves Cassé ou de Georges Sabo, tous assassinés par l’occupant.
Lavaur, cité de valeurs dans les temps difficiles, n’a pas non plus manqué de talents en temps de paix. Ses armes, où figure l’ancre de marine, rappellent le temps des pêcheurs et des barques sur l’Agout.
Bien des labeurs qui ont fait sa renommée dans le passé ont gardé leur place : l’imprimerie, dont l’excellence est reconnue au plan national, l’industrie textile, les commerces, l’agriculture, trait d’union entre les générations courageuses qui ont donné une extraordinaire renommée au pays de Cocagne, une agriculture aussi, enrichie par les vergers plantés avec courage par nos concitoyens qui avaient quitté, dans la douleur, la terre d’Algérie. Aujourd’hui, enfin, l’industrie de la beauté, née des plantes et de la nature, et du génie de Pierre Fabre, fidèle à son terroir, est présente dans le monde entier.
Plusieurs compagnons du Tour de France perpétuent les traditions liées aux métiers d’antan, dans le talent et la fraternité. Comme autrefois, des fêtes brillantes marquent la fin de l’été.
Lavaur, cité d’histoire, dont les heures sont rythmées par les coups dans le bronze du Jacquemart. Lavaur – cité de bienveillance, cité inspirée, cité de valeurs – est une cité de traditions.
Il en est une que nous avons à cœur, en cette terre de Languedoc, si douce au regard quand le soleil décline sur les vallons : au Plô, chaque année depuis sept siècles, quelques hommes et femmes se souviennent de Guiraude de Laurac et de ses compagnons d’infortune. C’est un rite. Il est bon que les sociétés humaines obéissent à de tels signes qui ont la vertu de rassembler et de ressusciter les souvenirs, à défaut des morts.
L’histoire finit mal, car c’est seulement dans les contes qu’elle s’achève, pour être belle, comme le souhaitent les enfants. Mais Guiraude, par son sacrifice, porte l’espérance des hommes. Des hommes et des femmes libres.
Sept cents ans après,
Le laurier refleurira des cendres des martyrs.
Les temps sont venus.

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