L’argent et la politique

Les Echos – Août 2001


Les relations de la classe politique française avec l’argent sont, depuis longtemps, tumultueuses. Les scandales financiers ont émaillé notre histoire sous toutes les républiques : l’affaire Stavisky sous la IIIe, le trafic de piastres sous la IVe, l’affaire Urba sous la Ve, pour ne citer que celles-là. Toutes les raisons, les meilleures comme les pires, ont été avancées pour expliquer l’accélération de leur rythme : le coût de la vie publique, la décentralisation des décisions publiques, l’absence de statut de l’élu. Notre pays, pétri d’une défiance catholique, rurale ou marxiste à l’égard de l’argent, n’a pas eu de mal à sécréter des courants populistes, prompts à jeter l’anathème sur l’ensemble des partis de gouvernement.

Il n’y a pourtant que deux problèmes simples à régler pour mettre un terme à cette hypocrite situation : celui de la punition des corrompus et celui du financement légal de la vie politique. L’enjeu est important pour notre pays : une classe politique respectueuse du droit sera légitime chez elle, et respectée dans le monde. 

La punition des corrompus n’est aujourd’hui que temporaire. Bon nombre de ceux qui ont été condamnés, il y a quelques années, sont parvenus à se faire à nouveau adouber par le suffrage universel. Le peuple a-t-il toujours raison quand il « blanchit » des élus comme on recycle des capitaux sales ? Sûrement pas. Le peuple peut se tromper, peut être trompé, qu’importe : l’histoire de ses erreurs n’est pas moins longue que celle de ses représentants. Quelles qu’en soient les causes, c’est moralement inacceptable, et techniquement dangereux, car la dissuasion judiciaire ne joue plus : l’autorité des magistrats qui jugent – sinistre ironie – « au nom du Peuple français », est bafouée. L’éviction de la classe politique doit donc être définitive pour les élus condamnés pour corruption ou détournement de fonds publics.

Le financement de la vie publique est partial et partiel. Partial parce que le législateur a donné une prime aux partis institués, auxquels sont réservés la quasi-totalité des fonds publics votés par le Parlement et l’accès aux médias. Le système mis en place dans les années 90 empêche ainsi tout renouvellement de « l’arc partisan » et contribue à la sclérose du débat politique. Le financement est partiel parce que l’activité courante des élus ne peut être aidée – faute de moyens suffisants – ni par les partis, ni par les individus, ni encore par les entreprises dont les dons sont interdits. Il reste dans la classe politique quelques privilégiés : ceux qui sont riches ; ceux à qui leur appartenance à la fonction publique laisse quelques libertés ; ceux, enfin, « qui se débrouillent » en contournant la loi.

L’interdiction du financement de la vie publique par les entreprises a ainsi tout bloqué, à commencer par l’information des électeurs, tributaire exclusivement des médias. Par peur de passer pour ce qu’ils n’étaient pas tous, les parlementaires de 1995 ont voté, dans la précipitation, une loi imbécile qu’il faut remplacer par des procédures incitatives et transparentes. Il suffirait pour cela de créer des EURL à vocation politique par lesquelles transiteraient toutes les dépenses et toutes les recettes destinées à l’accomplissement des mandats électifs. Un contrôle serait assuré dans chaque département par des experts-comptables désignés à la fois par leur ordre professionnel et par le préfet ; leurs comptes seraient accessibles à tous. Les dons, en tout ou partie défiscalisés, seraient soumis à plafonnement afin d’éviter de trop fortes inégalités.

Quant aux partis, leur financement doit être préservé des aléas des alternances.

Comme partout dans le monde occidental, ils doivent être soutenus par des fondations alimentées aux mêmes sources : on peut compter sur la légendaire prudence du patronat pour qu’un courant d’idées ne soit pas privilégié au détriment d’un autre. Ainsi les partis pourraient financer des études ou des expertises, améliorer le niveau de leurs réflexions, jouer enfin un vrai rôle de contre-pouvoir face à l’Etat. Progressivement, le financement par l’impôt serait remplacé par le financement volontaire. N’est-ce pas plus démocratique ? Reste à assortir ces mesures simples d’une loi d’amnistie excluant les faits de corruption mais balayant une fois pour toutes les avatars d’un financement de la vie publique, d’évidence aussi obsolète qu’hypocrite.

L’éviction « définitive » des élus condamnés définitivement pour corruption ou détournement de fonds publics n’est toujours pas votée.

Mais la création libre et encadrée de partis politiques est désormais possible, ce que j’appelais, à l’époque, des EURL à vocation politique.

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