La morale publique bafouée

Le Figaro  – Décembre 1991


Les « affaires » qui s’égrènent depuis dix ans, comme un chapelet, auront eu le mérite de souligner plusieurs nécessités : renforcer l’indépendance de la Justice, définir un statut de l’élu et dissiper certaines hypocrisies.

– La justice, c’est l’égalité devant la loi et l’impôt. Or, la révélation du système Urba[1], alimenté par des fausses factures, de la corruption ou des pressions afin de faire stopper des contrôles fiscaux, a porté une atteinte directe aux intérêts des contribuables : les détournements de fonds publics, comme les gaspillages, ce sont eux qui les paient ! L’égalité devant la loi, elle, a été sacrifiée sur l’autel de l’amnistie : une amnistie qui « blanchit » les élus mais pas les chefs d’entreprise qui n’auraient jamais donné si on ne leur avait tendu la main. 

La rumeur accréditait des faits précis et concordants : la presse a joué son rôle. Pas le ministère public, dont la passivité a conduit une association de citoyens, la Ligue des contribuables, à se substituer à lui, au Mans d’abord, en sauvant la procédure du juge Jean-Pierre, à Paris ensuite, en imposant l’audition d’un témoin gênant pour le pouvoir, Gaudino. L’ingérence morale est un droit du citoyen.

– Les fausses factures sont la conséquence d’un système archaïque de financement de l’activité politique. Changeons donc le système. En instaurant un système transparent où l’activité sociale des élus serait encadrée par une EURL[2] par laquelle seraient comptabilisées toutes les entrées et sorties d’argent manipulé pour cet objet social. En défiscalisant massivement les dons des particuliers ou des entreprises ; en déduisant  les frais des élus de leurs revenus imposables, et en développant les moyens humains et techniques mis à leur disposition par le Parlement – un élu pauvre coûte cher à la République.

– Il faut refuser d’entrer dans la logique de ceux qui, à gauche comme à l’extrême droite, ont intérêt à jeter l’opprobre sur l’ensemble de la classe politique. La gauche, qui a le pouvoir, tous les pouvoirs, depuis 1981, avait les moyens, comme elle l’a démontré à Nice, contre son maire, Jacques Médecin, de lever des affaires à droite. Son bilan moral est accablant : pour la première fois dans l’histoire républicaine, deux intimes collaborateurs du ministre des Finances ont été inculpés pour délits d’initiés ; jamais la presse n’a subi autant de pressions ou de condamnations. Jamais l’on n’avait dessaisi un juge, révoqué un policier, menacé des parlementaires, pour étouffer la Vérité. Jamais, ceux qui justifiaient leur engagement politique par des « exigences morales » n’avaient eu autant de comptes à rendre à la morale publique. 

La corruption, à l’époque des nouveaux pauvres, et de la part d’un Etat à la recherche de « recettes de poche », est pénible. Si on ne peut l’accepter, on peut s’y résoudre, parce qu’on ne change pas l’homme par décret. 

On ne peut, en revanche, se résoudre à l’injustice. Parce que la loi est l’arme des faibles, des pauvres et des démocrates.

Non, décidément, non : la République, comme la femme de César, ne doit pas être soupçonnée !

La révélation d’un système de corruption des élus et de financement illicite du PS éclate à la fin des années 80. Le Pouvoir essaye d’étouffer l’«affaire», dessaisissant un courageux juge d’instruction, Thierry Jean-Pierre, et l’inspecteur de police Antoine Gaudino. Avec un de mes fidèles amis, hélas disparu, Me Sylvain Garant, et m’appuyant sur la ligue des Contribuables dont j’étais le secrétaire général, je décide de porter plainte et de me constituer partie civile. L’« affaire » ne pourra plus être étouffée, et accédant au dossier, je livre son contenu à la presse. La médiatisation de ce « western judiciaire » me coûtera les fonctions que j’occupais dans un groupe de travaux publics.  

Plus tard, en 1994, devenu député, j’essayerai, mais en vain, de faire voter ma proposition de loi tendant à rendre inéligibles à vie les élus condamnés définitivement pour corruption et détournement de fonds publics. Mais j’obtiendrai la réintégration dans la Police nationale de l’inspecteur Gaudino, injustement révoqué…    


[1] Du nom du « bureau d’études » du PS.

[2]  Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée.

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