Le Figaro – Décembre 2014
Un rapport récent de la délégation parlementaire au renseignement décrit le pillage de l’économie française. Le constat n’a rien d’original, il a été fait il y a dix ans : la France et l’Europe ne luttent pas à armes égales dans la guerre économique[1], et même si les efforts de l’ancienne majorité étaient insuffisants, les bases d’une politique ambitieuse étaient jetées : création d’un Fonds souverain, le FSI, doté de 20 milliards d’euros, emprunt de 35 milliards pour financer les investissements d’avenir, soutien aux filières industrielles, sauvetage des banques européennes dans la crise de 2008, mise en place d’une politique publique d’intelligence économique pour protéger nos entreprises et leur ouvrir les yeux sur la mondialisation, promotion de la réciprocité commerciale à laquelle la Commission européenne a toujours été rétive, par dogmatisme libéral…
Alors que les circonstances se prêtaient depuis deux ans à des évolutions majeures, quatre erreurs stratégiques ont été commises.
L’affaire Snowden, du nom de l’agent de la NSA qui a livré à l’opinion publique mondiale les secrets de l’espionnage américain, apportait la preuve massive et concrète du programme inouï de renseignement politique, industriel et privé de notre « meilleur ami ». L’Europe et ses dirigeants nationaux, embarqués par les Etats-Unis dans un nouveau traité de libre-échange (le TAFTA), avaient l’occasion historique d’un bras-de-fer avec le président Obama en exigeant le respect de l’intimité de nos dirigeants, de nos entreprises et des citoyens. François Hollande a réclamé des « explications » et le président Barroso suggéré la création d’une « commission » ! Première erreur.
Le Gouvernement veut protéger le secret des affaires. C’est honorable, même si les députés PS – à l’exception notable de Jean-Michel Boucheron – n’ont jamais marqué, dans le passé, le moindre intérêt sur ce sujet. Il pouvait le faire depuis trois ans en faisant adopter par le Sénat ma proposition de loi, soutenue pourtant à l’époque par l’actuel président (PS) de la Commission des lois, (M. Urvoas). L’amendement à la loi Macron que celui-ci va présenter, efface, en outre, le renforcement que j’avais prévu de la loi de blocage (1980) : elle permet à des entreprises françaises, confrontées aux exigences d’informations émanant d’autorités étrangères – en particulier à travers la fameuse et hallucinante procédure américaine de Discovery – d’obliger celles-ci à se conformer à la convention internationale de La Haye. Soucieux sans doute de ne brusquer ni le Quai d’Orsay, timide par nature, ni les Américains, qui ont rappelé brutalement à la BNP le respect de leurs règles, les rédacteurs de l’amendement y ont renoncé, par un atlantisme frileux. Deuxième erreur.
Il fut un temps où le patriotisme économique était la trame d’un discours volontariste. Même si M. Montebourg n’en était pas l’auteur[2], ce concept avait le mérite de démarquer notre politique économique du tout-marché et du tout-Etat : la défense de nos intérêts dans le respect de la réciprocité avec nos partenaires. La marinière de l’ancien ministre du Redressement productif n’est pas le vêtement de M. Macron. Il ne peut y avoir de patriotisme économique français si les européens n’adoptent pas une approche continentale des questions industrielles et stratégiques. Or la France est trop faible politiquement et économiquement pour surmonter les réticences très libérales de l’Allemagne, et le dogmatisme des commissaires européens-, en matière de concentration et d’aides publiques. Nicolas Sarkozy, en 2008, avait su et pu violer à la fois les textes européens et les exigences de M. Barroso en imposant un plan massif et public de consolidation des banques. On en est plus là. Troisième erreur.
Le rachat d’Alstom par Général Electric pose la question lancinante de la propriété de nos fleurons industriels, tantôt rachetés puis démantelés, tantôt délocalisés pour des raisons fiscales. Le drame sidérurgique de Florange symbolise d’ailleurs le renoncement de la gauche libérale à sa culture ouvrière et industrielle, alors que le rapport Gallois, commandé par le chef de l’Etat, soulignait que la « côte d’alerte » de l’industrie française était atteinte. La création de fonds de pension était la réponse à ce débat auquel le rachat, par un groupe chinois, de l’aéroport de Toulouse confère son actualité. La gauche pouvait accomplir ce que la droite n’avait osé : quatrième erreur.
Face à ces défis, la réponse de l’Etat est restée administrative, pour ne pas dire bureaucratique, et il est assez désolant que le seul conseil apporté par l’Etat et par le président de la Commission des lois aux entreprises soit d’éviter de laisser trainer une clé USB ou de téléphoner avec son portable !
Résumé des nouvelles capitulations, par atlantisme béat.
[1] Rapport au Premier ministre de Bernard Carayon, «Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale», La Documentation française, juin 2003. (www.ladocumentationfrancaise.fr)
[2] Bernard Carayon, Patriotisme économique, de la guerre à la paix économique (Le Rocher, 2006).

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