Le Spectacle du Monde – Octobre 2006
Je suis né à Budapest. Comprenez-moi bien : politiquement. En réalité, je suis né à Paris, un an après l’insurrection. Dans une famille où l’on n’aimait guère parler du communisme, tant il apparaissait comme une corruption de l’âme et de l’humanité. « Intrinsèquement pervers », comme le qualifiait un pape…
Surmontant la répulsion héritée, je me suis plongé, adolescent, dans la lecture d’Aron, Gide, Arendt et Monnerot, me nourrissant d’une haine du totalitarisme où nazisme et communisme m’apparaissaient, selon l’expression de l’historien si modéré Pierre Chaunu, comme des « jumeaux hétérozygotes ».
Dans le Panthéon des victimes du communisme, se sont très vite imposées, en moi celles de Budapest. Les martyrs hongrois symbolisaient l’Europe, la jeunesse, la révolution.
Une Europe déchirée, humiliée, asservie par des criminels, à la fois cyniques et médiocres.
Ils étaient la jeunesse, jeunesse du courage, si pauvrement armée face aux chars soviétiques. Une jeunesse dont se foutaient les « bien-pensants » occidentaux, zélotes de la barbarie à visage inhumain.
Ils étaient la révolution, mais la révolution dans sa pureté, quand elle est animée par le goût de la liberté et non par la lutte des classes.
Etudiant, ces images du peuple de Budapest me sont souvent revenues à l’esprit. Avec le regret de n’avoir pas eu l’âge d’être parmi eux, ou à défaut, avec ces Français d’honneur qui avaient attaqué, à Paris, le siège de l’Humanité, pour le mettre à sac.
Vingt ans plus tard, la chape de plomb qui pesait sur les Français, était la même : Giscard recevait en grandes pompes Brejnev à Paris, Mitterrand accueillait avec déférence Honecker, et les « compagnons de route » trouvaient des excuses aux bourreaux, méprisant les victimes, en quelque sorte collatérales, d’une idéologie « juste » mais si maladroitement appliquée… Les mêmes, aussi, de la terrasse du Flore, à Saint-Germain, traitaient de fascistes les anticommunistes que nous étions : quelques centaines, dans les facultés, à pleurer de rage sur la chute de Saïgon, la « libération » du Cambodge, l’invasion de l’Afghanistan. Nous espérions, contre toute espérance, la chute du mur de Berlin, les retrouvailles avec nos frères européens de l’autre côté du « rideau de fer », l’explosion du bloc soviétique. Nous étions marginaux… Mais nous avons eu raison contre nos aînés, dont l’esprit était à la capitulation, si ce n’est à la collaboration.
L’histoire s’est accomplie selon nos rêves, révélant l’essence criminelle du communisme, le visage grimaçant du totalitarisme le plus ancien, le plus long, le plus meurtrier, le plus universel… le mieux accepté.
Député, je n’ai pas oublié ces victimes aux visages inconnus, mortes à Budapest pour que l’Europe retrouve, un jour, son honneur et son unité.

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