Mazamet – 18 mai 1996
Ici, à Mazamet, vous qui venez de la France entière, vous êtes chez vous. Vos coreligionnaires n’y forment pas la majorité des habitants, chacun sait aussi que la vie spirituelle n’est plus autant partagée qu’hier, mais les mœurs et les structures sociales de Mazamet sont imprégnées de l’esprit protestant.
C’est si vrai que les responsables publics locaux ont toujours pris garde à préserver d’intelligentes proportions dans la composition de leurs assemblées politiques ou économiques.
La pérennité de ces comportements montre que les mentalités religieuses ont fécondé partout en Occident les faits sociaux.
Pour l’historien Pierre Chaunu, l’Europe s’est dessinée de 1520 à 1550, les frontières entre pays de Réforme et de Contre-Réforme demeurant, pour ainsi dire, figées.
Si l’on s’appuie sur les travaux de l’économiste Rostow consacrés aux étapes de la croissance, on observera la singulière réussite des pays de culture protestante. Sans doute parce que la Réforme n’est pas un accident historique et qu’elle n’a cessé d’agir de manière continue. Sans doute aussi parce que les sociétés pénétrées par l’esprit de la Réforme n’en sont jamais sorties. Quelle force !
Dans « l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme », Max Weber rappelle combien le calvinisme a été « l’instigateur » de l’esprit du capitalisme : une piété intériorisée féconderait cet esprit, à l’opposé d’un sentiment religieux gouverné par des interdictions et des hiérarchies trop pesantes.
Sans doute aussi attache-t-on aux protestants cette idée, si moderne, que le devoir s’accomplit dans l’exercice d’un métier. Cette éthique différencie notre capitalisme occidental de ses avatars chinois ou babyloniens. Ainsi Benjamin Franklin rappelle-t-il que l’honnêteté est utile parce qu’elle assure le crédit, comme la ponctualité, l’application au travail, la frugalité…
Je voudrais enfin souligner trois caractéristiques fondamentales du protestantisme qui signent votre engagement dans les débats contemporains :
– il y a d’abord le progressisme : c’est si vrai que chez les catholiques, être « progressiste » il y a 20 ans ou 30 ans, c’était verser dans le protestantisme. L’Eglise réformée s’inscrit dans le mouvement : « ecclesia reformata, semper reformanda » !
– Il y a la tolérance, ou l’œcuménisme, qui est aussi chez vous, une vraie contribution à la paix entre les peuples.
– Il y a enfin la contestation des hiérarchies quand elles ne sont pas légitimes, et la volonté de faire prévaloir, au-delà des enjeux religieux, l’individu, la responsabilité et l’initiative.
En rappelant ces valeurs qui ordonnent votre spiritualité, j’ai bien le sentiment de retrouver celles qui ont façonné notre ville de Mazamet et le regret de constater, parfois, qu’elles n’ont pas rencontré le succès qu’elles méritaient dans la société française.
Prononçant ces mots, moi qui suis issu d’une famille catholique mais d’origine protestante – (ma maison, située non loin de Castres, fut un refuge pour les protestants persécutés dans la région, après la révocation de l’Edit de Nantes), je ne forme pas le vœu que mon pays soit moins catholique : mais qu’il soit simplement un peu plus protestant !

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