Inauguration de la restauration intérieure de la cathédrale Saint-Alain

Discours prononcé le 18 mars 2016 à Lavaur 


Que seraient nos villes et nos villages sans leur église ? Des communes sans racines ni mémoire ! L’identité de Lavaur s’est forgée ici. Dans la foi et le talent de ses bâtisseurs, l’énergie de ses évêques et de ses prêtres, la prière de ses fidèles. 

Jaurès écrit ceci dans sa thèse « De la réalité du monde sensible » : « quiconque n’a pas une foi ou besoin de foi est une âme médiocre ». Sa sévérité est à l’aune de la force, méconnue, de ses convictions spirituelles. Vingt ans plus tôt, dans le cours de philosophie qu’il dispense à Albi, il s’adresse à ceux qu’il appelle les « lourds scolastiques », les positivistes,  qu’il met au défi d’expliquer et de reconstruire le monde : « non seulement la science ne peut fournir elle-même les bases de l’univers, mais sur ces bases une fois accordées, elle ne peut toute seule bâtir et orner l’édifice entier. Il y a aux fenêtres de l’étage supérieur des lumières que le maçon n’a pas allumées… ».     

Notre compatriote, visitant le Panthéon en compagnie d’Aristide Briand, n’y voyait qu’un « temple obscur et vide », lui préférant comme  sépulture « un de nos petits cimetières ensoleillés et fleuris de campagne ». 

Jaurès sentait l’âme française, à l’instar d’un candidat à la présidence de la République, posant sur une affiche électorale devant un vieux clocher d’église, symbole, sans nul doute aussi, d’une force tranquille.  

Saint-Alain est l’âme de Lavaur, et nos églises des sentinelles de l’âme française. 

Construite en 1255, elle est en quelque sorte la sœur aînée de Sainte-Cécile, église-forteresse dressée trente ans plus tard dans le ciel d’Albi. 

L’an prochain, nous fêterons avec joie les 700 ans d’une église devenue cathédrale. 

La dimension de Saint-Alain, son statut épiscopal, l’installation de nombreuses congrégations religieuses, ne sont pas étrangères à ses noces en pays cathare. Il fallait reprendre pied là où s’était scellée, dans la résistance au Pouvoir royal, l’union de la noblesse et du peuple. 

Les racines chrétiennes de Lavaur prospèrent ainsi sur les décombres d’une autre foi, que sa philosophie mortifère conduisait à la disparition. 

Il existe une âme occitane, portée par la langue de nos ancêtres : une cathédrale de la pensée, mais une cathédrale fragile. 

Notre cathédrale de briques et de pierres, elle, raconte et porte une part de notre histoire. Elle est un héritage vivant. Et s’il est des héritages qui divisent, celui-ci rassemble, comme ce soir, ceux qui croient au ciel comme ceux qui n’y croient pas.  

J’ai voulu, il y a plusieurs années, que nous restaurions ses décors peints au XIXe siècle par les frères Céroni. Pour être franc, je craignais que ce travail soit repoussé longtemps si  nous ne l’engagions pas. Chaque municipalité a ses légitimes priorités : les nôtres, vous les comprenez ; et puisque vous êtes là, vous les partagez : rendre à la beauté sa jeunesse. Exprimer notre gratitude à l’égard de ceux, hommes et femmes sans images ni visages, qui nous ont précédés. Transmettre, par l’art cultuel, une joie – ou une espérance – collective, et la fierté d’être d’ici.  

J’aurais préféré que nous retrouvions les décors antérieurs, que nous « grattions, comme dit Malraux, le plâtre jusqu’à la fresque ». C’était trop risqué ! Il fallait être sûr de tout retrouver, et cette certitude, nous ne l’avions pas. 

Les frères Céroni étaient du Piémont italien. Ce sont de grands artistes. On les découvre actifs à Toulouse dès 1827, à Castres aussi, où ils décorent la cathédrale Saint-Benoît. 

Ils s’installent à Lavaur en 1837, où ils s’attellent aux voûtes de la chapelle des Clarisses, puis de 1843 à 1847, à Saint-Alain. Les décors sont en trompe-l’œil : murs en grisaille, voûtes en couleur, fins décors gothiques, ils racontent une histoire, la nôtre. 

Leurs travaux ont duré quatre ans : les nôtres moins de trois… L’abside, le chœur, la nef sont achevés, mais nous n’avons pas terminé. 

Avec votre aide, nous restaurerons les chapelles, l’armorial des évêques, le narthex, le grand porche gothique extérieur, après la petite entrée gothique et les toitures des chapelles sud. 

Nous installerons un éclairage du chœur et de la nef, – celui-ci est provisoire – puis viendra le temps de l’illumination extérieure. Un plancher chauffant est même prévu, pour ceux que le froid saisit l’hiver ! 

Avec l’accord de Monseigneur Jean Legrez, archevêque d’Albi, Castres et Lavaur, et du père Joseph Dequick, notre curé, le chœur a été réaménagé autour de deux mobiliers dédiés à la liturgie : l’ambon, où est proclamée la parole de Dieu ; la table d’autel romane (1098), qui est posée sur un socle en acier. Le plateau qui les supporte est en marbre, issu de la carrière audoise de Caunes-Minervois. 

Est-ce le lieu pour parler d’argent ?  Je ne voudrais pas être indécent, mais je dois aussi rendre compte afin de justifier les quêtes ultérieures ! 

Nous consacrons 1 800 000 € à cette restauration. L’Etat y a pris une large part, 38 %, grâce à Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture, que j’avais invité ici pour cela ! Les directeurs régionaux successifs de la Culture ont conforté cette décision et je leur en sais profondément  gré. Les collectivités, départementale pour 15 %,  et régionale pour 8 %, nous ont aussi apporté un soutien très précieux et je ne doute pas que leurs présidents auront à cœur de pérenniser leur engagement. 

Lavaur contribue à hauteur de 25 %, et les mécènes, portés par la Fondation du Patrimoine comme par l’association des Mécènes du Pays de Cocagne, à hauteur de 14 %. Je salue avec émotion tous nos donateurs : leur effort est considérable et rare. Je salue aussi le puissant soutien du groupe Pierre Fabre. Car Pierre Fabre était un fidèle pieux  et discret de la cathédrale, un accompagnateur affectueux de nos projets. Merci, Monsieur, une nouvelle fois. 

Notre gratitude va aussi à une banque locale, bien connue du monde agricole qui signe ainsi son attachement à notre terroir culturel.    

Car, lieu de culte, notre cathédrale est aussi un lieu de culture, qui abrite de splendides concerts. L’un et l’autre sont intimement liés dans notre histoire européenne ! C’est ce qu’avaient compris nos prédécesseurs en rénovant l’orgue Cavaillé-Coll, à l’exceptionnel buffet polychrome. 

Il y a bien des investissements spirituels utiles pour l’économie d’un pays, d’un terroir : 15 000 visiteurs l’été dernier ! Saint-Alain est devenue la matrice du tourisme dans l’ouest tarnais. Son rayonnement profite ainsi à tous. 

Merci donc, de tout cœur, à vous qui nous avez aidés et conseillés. 

Merci Monseigneur, Merci Monsieur le Curé, vous avez surmonté votre impatience par la confiance, et vous nous avez toujours fait partager votre enthousiasme. 

Merci, Monsieur le Préfet, d’avoir tenu la parole de l’Etat. 

Merci aux élus, rassemblés au delà de ce qui peut parfois les opposer. 

Merci à nos chers donateurs. 

Merci aux architectes du patrimoine,  Patrice Calvel et Michel Peron, si attentifs, si précieux aussi par leur science et leur détermination. 

Merci aux travailleurs et aux entrepreneurs qui incarnent avec courage les traditions des compagnons d’autrefois. 

Merci aux paroissiens, qui dans de nombreuses tâches profanes contribuent à la beauté de notre cathédrale. 

Merci à mon cher adjoint, mon ami Michel Guipouy, d’avoir tout donné de lui-même pour le joyau de notre patrimoine.  

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