Le Quotidien de Paris – Novembre 1988
Il y a dix-huit ans, disparaissait le général de Gaulle. En une génération, il avait façonné une France nouvelle, restituant à ses compatriotes l’ardeur, l’espérance et le rêve…
Que nos compatriotes se souviennent avec nostalgie d’une époque où grandeur nationale, autorité de l’Etat et volontarisme historique composaient une seule et même politique, n’est pas surprenant en ces temps de sommeil et d’atonie social-démocrates.
A l’occasion du 50ème anniversaire de la bataille de la Marne, Charles de Gaulle soulignait qu’« il n’y a qu’une Histoire de France ». En cela, se montrait-il solidaire de tout le passé de son pays, dont l’unité ne pouvait reposer que sur le sentiment inné de sa grandeur.
« Toute ma vie, disait-il, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. J’ai d’instinct l’impression que la providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la médiocrité marque pourtant ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation d’une anomalie absurde, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais je suis convaincu aussi, concluait-il, que la France n’est réellement elle-même qu’au premier rang ! La France ne peut-être la France sans la grandeur ». Par instinct comme par raison, Charles de Gaulle savait que la France n’était pas une nation comme les autres.
Son identité plongeait loin dans ses racines, et c’est vrai que la France n’a jamais tant existé que lorsque son existence se trouvât contestée, menacée, entravée… Des tribus gauloises aux soldats de l’an II, et de Gambetta à Clémenceau, elle se retrouvait alors unie. Ce n’est pas un hasard si cette identité, fondée sur des sacrifices communs, le refus de l’asservissement, mais aussi le goût des aventures lointaines et celui de constituer un modèle universel, a tant fasciné les peuples étrangers : la France est depuis longtemps, comme l’écrivait Goethe, « la seconde patrie de tous les hommes ».
Il y eut pourtant des heures où son prestige fut soumis à éclipses, où le sens des traditions nationales devint moins vif. L’euphorie de la victoire de 1918 fit oublier à nos compatriotes le sens des sacrifices consentis et des leçons de l’histoire. 1940 les surprit : de Gaulle, une journée de juin, leur rappela leurs droits et leurs devoirs.
Le sentiment national ne serait pourtant pas enraciné aussi profondément en nous, s’il n’avait trouvé en l’Etat un support idéal, brisant les féodalités, imposant le respect par la loi de l’intérêt général, et par la force, si nécessaire, de l’intérêt national.
Notre nation, dont Anatole France disait, avec autant de pessimisme que de réalisme, qu’elle était « un vieux pays de guerres civiles », a toujours ressenti le besoin d’une souveraineté ; la Révolution française lui donna le culte de la loi, et de Gaulle, celui d’une monarchie républicaine. Nul aujourd’hui ne conteste plus la légitimité de nos institutions bâties il y a trente ans : c’est une chance historique, qu’un homme ait pu, chez nous, réconcilier des traditions aussi antagonistes.
Si la réforme constitutionnelle, comme le choix, contre vents et marées, d’une politique d’indépendance nationale et d’une doctrine de dissuasion nucléaire sont aujourd’hui admis par tous, c’est que la grandeur est mieux perçue au fur et à mesure que s’écoule le temps. Les politiques passent, les idées fortes demeurent.
Charles de Gaulle n’aurait pas tant séduit, ni tant été haï de son vivant, si son œuvre se résumait à la redécouverte de notre identité nationale et au culte d’un Etat restauré : c’est bien sur sa conception de l’homme que se sont cristallisés à son égard tant de sentiments équivoques.
Rejetant les partis au rang des forces destructrices de la Nation, récusant les idéologies fondées sur la lutte des classes, méprisant l’égoïsme et parfois la veulerie de certaines élites conservatrices, de Gaulle ne pouvait entraîner l’adhésion de tous : mais l’immense majorité des Français, lui rendit justice avec le temps. Le suffrage universel étendu au choix de chef de l’Etat, ou sollicité pour l’adoption des plus grands projets de la Ve république, l’instauration d’un dialogue direct entre le peuple et son président, tout cela ne pouvait laisser indifférent un peuple si longtemps écarté des décisions réglant son sort.
Le peuple français lui fut aussi reconnaissant d’avoir rappelé que l’histoire des peuples est le fruit de la liberté humaine : « il n’y a pas de fatalité historique, avait-il dit : sauf pour les lâches… un coup de chance et d’audace détournait le cours des événements. Il y a des heures où la volonté de quelques hommes brise le déterminisme et ouvre de nouvelles voies ».
Aux pèlerins de Colombey, terre de résistance, de s’en souvenir : depuis dix-huit ans, la France s’ennuie…

Laisser un commentaire