La promotion de nos intérêts nationaux, ou confondus avec ceux de nos partenaires européens, se heurte à l’intransigeance de nos autres partenaires occidentaux, arcboutés sur une idéologie et un postulat :
– l’idéologie, c’est le libre-échangisme mondial qui réunit les hauts fonctionnaires à qui l’on a confié la direction, depuis l’après-guerre, des grands organismes mondiaux, à l’instar du FMI, de la Banque mondiale et du Gatt, et à qui l’on peut reprocher, sans crainte d’être contredit, d’être exonérés de tout contrôle démocratique ;
– le postulat, c’est le retour à la croissance mondiale que conditionnerait l’acceptation des règles du Gatt. L’augmentation du commerce international, résultant de cet accord, a même fait l’objet d’un chiffrage à la fois précis – 213 milliards de dollars – et dérisoire : matérialisable qu’à l’issue de dix années, cette progression ne représenterait que 0,7 % de l’économie mondiale.
L’idéologie ? S’y accrochent chez nous bon nombre de libéraux, comme à une bouée de sauvetage, obnubilés par les travaux d’un économiste anglais du siècle passé, Ricardo, qui s’appuie sur deux concepts étroitement liés : la spécialisation internationale et la loi des avantages comparatifs :
– le premier concept nous conduirait à nous cantonner aux activités à main-d’œuvre résiduelle, condamnant nos industries, où les coûts du travail sont parfois 35 fois plus élevés qu’à l’étranger, à la disparition, sans qu’il soit possible un jour de les reconstituer.
Cette situation, je la vis chaque jour dans mon département du Tarn, où les industries du textile, de la mégisserie ou de délainage s’effondrent les unes après les autres.
Mortes, elles ne ressusciteront pas, comme le Phénix de ses cendres, en dépit du savoir-faire de leurs ouvriers, pas plus que ne ressuscitera une paysannerie dont les revenus seront laminés par les cours mondiaux ;
-Le concept des avantages comparatifs ne tient pas plus au regard des politiques de dévaluations compétitives que mènent certains de nos concurrents, ou du privilège que détiennent les Etats-Unis lorsqu’ils laissent leur monnaie flotter à la baisse. Les lois du commerce ont toujours été édictées par la puissance économique dominante : hier la Grande-Bretagne, aujourd’hui l’Amérique, qui, débarrassée, pour l’essentiel, des menaces militaires périphériques, est de retour, et nous livre, dans l’économie ou sur le théâtre culturel, une guerre sans merci. Sa puissance lui permet de faire impunément tourner la planche à billets, en se refinançant sans que la confiance dans le dollar s’effrite.
Or le monde n’est pas homogène.
Des zones d’insécurité ou de privation des droits de l’homme dérivent parmi des systèmes politiques, administratifs, économiques et sociaux très différents, à l’instar d’icebergs.
Il faut d’ailleurs beaucoup d’hypocrisie pour justifier le libre-échange par la nécessité de résorber la misère du tiers-monde, que l’on a, depuis des décennies, aggravée au gré de fluctuations politiques bien maîtrisées : ce n’est pas en appauvrissant Français et européens que l’on enrichira des milliards d’individus.
Dans ce monde en mosaïque, l’Europe ne doit pas être un laboratoire d’expérimentation.
Il n’y a pas, aujourd’hui, d’autres solutions que de pratiquer, en matière de libre-échange, la politique du « pas à pas » : c’est-à-dire un libre-échange par zones concentriques, admettant les préférences régionales, les droits compensateurs ou les contingentements.
Faut-il le rappeler ? Le bonheur des peuples ne se décrète pas par un taux de croissance économique : la croissance n’a de sens que si elle s’intègre dans le cadre de sociétés stables où le pouvoir est librement et démocratiquement consenti.
Déjà les anathèmes refleurissent : dans un rapport récent et déjà célèbre, l’un de mes collègues[1] dénonce les adversaires du libre-échangisme habillés en protectionnistes et cherchant les responsables de leurs difficultés à l’étranger.
Les voilà venir dans un cortège auquel nous sommes tant habitués, ceux qui dénoncent une France dressée sur ses ergots, qui refuserait – dit-on – les vrais clandestins et les faux réfugiés, les Américains dominateurs et le tiers-monde envahisseur !
C’est pourtant Carla Hills, représentante du Commerce dans l’Administration Bush qui s’écriait : « Nous ouvrirons les marchés étrangers à la barre à mine où cela est nécessaire, mais avec une poignée de main toutes les fois où cela sera possible ». Nous ne sommes plus au temps des canonnières. Nous ne sommes pas d’un peuple dont on fige l’avenir en agitant la carotte et le bâton.
Nous avons des intérêts vitaux à défendre. Les intérêts de tous ceux, de condition modeste, qui nous ont élus et qui croient autant en la France qu’en l’Europe, mais qui se défient d’organismes qui pèsent sur les peuples sans exprimer leur volonté. Le gouvernement Balladur se bat avec une énergie que ses prédécesseurs depuis 1998, en fidèles successeurs de Guy Mollet, n’avaient su, ni voulu déployer.
Ne perdons pas à l’étranger ce que nous avons pour partie gagné chez nous : un argent moins cher, une pression fiscale décroissante, une réduction de l’emprise de l’Etat sur la vie économique.
La liberté est indivisible. Il reste au gouvernement quelques courtes semaines pour faire comprendre, outre Atlantique, que la France et l’Europe sont de retour !
[1] Patrick Devedjian, alors député RPR, comme moi….

Laisser un commentaire