C’est quand la France se fracture, qu’elle doute même de ses représentants, c’est quand elle perd la mémoire du temps où elle fut une puissance, c’est quand la France perd la confiance en son destin, qu’il est bon de se rassembler au pied de nos monuments aux morts et de nos étendards.
Nos Poilus ne se sont pas seulement battus pour des principes : ceux de la République ; mais pour la « terre charnelle ». Ils se sont battus pour repousser nos frontières au Rhin et recouvrer l’Alsace et la Lorraine. « Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre » (Péguy).
Et ils se sont battus avec une force morale extraordinaire ! « Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle ».
C’est bien parce que les Français ont aujourd’hui le sentiment que notre pays, comme toute l’Europe, est sur le point d’être submergé de l’extérieur, tandis que l’Etat donne tous les signes de l’effondrement, qu’il faut se souvenir de ceux qui ont tenu les frontières, les frontières géographiques et morales de notre pays.
« Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu ».
Honorons la mémoire des 150 jeunes de Lavaur qui donnèrent leur vie avec patriotisme, mais aussi des centaines d’autres, revenus souvent blessés et tous meurtris par l’épreuve de leur vie.
Souvenons-nous, avec affection et respect, de l’un de nos anciens combattants qui s’est éteint cette année.
Il s’appelait Robert Marty. Il s’était engagé, jeune, dans la Résistance, chez nous dans le Tarn, à Albi, Carmaux et Lavaur. Incorporé, ensuite, dans la Première Armée française, il fut – ce qui est peu connu – l’un des piliers d’une prestigieuse association, celle des Anciens des Services secrets de la Défense nationale, et membre des Combattants Volontaires de la Résistance comme de Rhin et Danube. Honneur à toi, Robert !
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11 novembre 1918 : durant cinquante-deux mois, des dizaines de nations du monde entier se sont affrontées. Cinquante-deux mois au cours desquels tombèrent neuf millions de soldats et de civils, dont près d’un million cinq cent mille français.
La guerre s’engage dans la ferveur patriotique. Une guerre contre laquelle Jaurès se battit en s’efforçant de construire avec les socialistes allemands les conditions de la paix des travailleurs. Il n’y eut plus, dès lors, de bourgeois et d’ouvriers. C’est dans l’unanimité que l’Assemblée nationale répond le 4 août 1914 à la déclaration de guerre de l’Allemagne : l’écrivain Maurice Barrès décrit la Chambre des Députés « qui se lève d’un bond pour le salut à la Russie, pour le salut à l’Angleterre, pour le salut à l’Italie, pour le salut à la Serbie, pour le salut, le plus long de tous, le plus chargé d’amour, à nos frères d’Alsace-Lorraine ».
Nationalistes, radicaux et socialistes : tous se retrouvent, côte à côte, dans l’« Union Sacrée » autour des statues de Jeanne d’Arc, « la bonne lorraine ». Pour la première fois, les religieux sont enrôlés. Plus de 30 000 ! Des infirmiers ou des brancardiers comme le philosophe Teilhard de Chardin, des combattants comme le frère Léon Bourjade, l’un des as de l’aviation aux 28 victoires. 5 000 d’entre eux seront tués. Les « curés sac au dos », criaient les laïcards ! Ils ne crurent pas si bien dire ! Prêtres, moines et religieuses furent des héros comme les autres.
« Heureux ceux qui sont morts … mais pourvu que ce fût dans une juste guerre ».
Jaurès, le pacifiste, meurt assassiné le 31 juillet avant d’avoir la réponse à sa terrible question : quels sacrifices exige la paix ? « La paix sera toujours supérieure à la guerre… car dans la guerre ce sont les fils qui meurent avant les pères et dans la paix, ce sont les pères qui partent avant leurs fils ».
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Les souvenirs de la Grande Guerre auraient pu disparaître. Pour certains de nos compatriotes, le 11 novembre n’est plus d’ailleurs qu’un rite suranné. Beaucoup d’entre eux ne savent même pas ce qu’est le 11 novembre, si ce n’est un jour de repos qu’ils ont gagné avec le sacrifice de nos aînés. Quand un Peuple ne connaît plus son histoire, quand cette histoire fait place au masochisme national de la repentance, il perd sa force, son identité et les valeurs qui l’ont forgée. C’est pourquoi l’enseignement de l’histoire, mais l’histoire du « roman national », est fondamental. Un enseignement aujourd’hui sacrifié – comme les langues de notre Antiquité gréco-latine – aux modes du moins-disant culturel ; un enseignement négligé par des élites mondialisées, américanisées et déracinées. Il n’y a pas de République déracinée : la République n’est rien sans la Nation, famille de nos familles.
La Grande Guerre reste justement la guerre de nos familles, des familles françaises, du souvenir de nos grands-parents et arrière-grands-parents, comme un fil nous rattachant à nos racines, à une génération dont la plupart des hommes adultes, dans les années 20, étaient des anciens combattants.
12 communes seulement sur 36 000 furent épargnées par la douleur. Aucune ne le fut par la gloire : nous avions eu notre « revanche ». Une « revanche » payée au prix fort par les paysans de France comme par les troupes d’Indochine, d’Afrique du Nord et d’Afrique noire, terriblement redoutées par les Allemands : partout, dans les plaines et les collines de la Marne, de la Somme, de l’Alsace et de la Lorraine, aux côtés de nos alliés belges, britanniques, serbes, américains, russes ; au moins, pour ces derniers, jusqu’à la paix de Brest-Litovsk, préparée par Trotski et Lénine, et signée entre les Allemands et les Soviétiques : le « coup de poignard dans le dos » par les communistes permit aux Allemands de basculer vers l’ouest des centaines de milliers de soldats.
Ce fut une guerre d’horreur par sa durée, par ses corps à corps de tranchées à tranchées ; par ses offensives en ligne, hachées par les mitrailleuses, l’artillerie et l’aviation, par l’emploi du gaz de combat.
Ce fut une guerre qui n’épargna personne : ni les paysans, les ouvriers ou les aristos, ni les Saint-Cyriens dont près de 6 000 furent tués, ni les grands écrivains, Alain Fournier, Apollinaire, Ernst Jünger, Charles Péguy, Georg Trakl, ni ceux qui ne s’exprimaient que dans la langue de leur terroir occitan ou breton.
« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre,
Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles
Couchés dessus le sol à la face de Dieu »
La guerre n’épargna pas non plus le fils de Jaurès, Louis, engagé avant l’âge : il est tué le 3 mars 1918, près de Chaumont.
Comme dans toutes les guerres, l’humanité côtoie l’horreur.
L’humanité de ces Français et de ces Allemands qui fraternisent le temps d’une soirée de Noël.
L’humanité d’un poilu, Maurice Maréchal, qui fabrique un violoncelle dans le bois d’une caisse de munitions et parmi les coups de canon, joue suites et sarabandes de Bach.
Ce fut une guerre qui n’épargna pas non plus l’Empire français.
L’Afrique du Nord, l’Indochine et l’Afrique noire envoient 600 000 combattants-tirailleurs qui vont au combat, si loin de chez eux, sans peur.
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Hasard de l’histoire : tout s’arrête à la Saint-Martin où s’achèvent traditionnellement les travaux agricoles, avant le repos de l’hiver.
Clémenceau, à la tribune de la Chambre des Députés, eut le mot de la fin en ouvrant grands les bras : « Hommage à nos grands morts qui nous ont donné une grande victoire ».
Il n’y a plus un survivant. C’est à l’honneur du Président Chirac d’avoir décidé de décorer de la Légion d’Honneur tous ceux qui l’avaient mérité au feu sans jamais l’obtenir, ni bien sûr sans jamais l’avoir demandé.
C’est pour eux et pour tous ceux dont le nom est gravé sur plus de 36 000 monuments semblables au nôtre, que nous sommes là, réunis dans le respectueux souvenir que le temps n’a pas altéré.
Honneur à ceux qui ont aimé la France avec courage : la plus noble des vertus.
Hommage à ceux qui ont donné leur jeunesse, hommage, à ceux qui ont donné leur vie. Que cela ne soit pas en vain dépend de nous. Le Chancelier Helmut Schmidt, qui vient de mourir, rappelait qu’il n’est écrit dans aucune Bible que l’Europe survivrait au XXIème siècle.
Hommage à notre armée, représentée aujourd’hui par les paras du 8, le Régiment du Soutien du Combattant et la gendarmerie, hommage à la Croix Rouge et aux sapeurs-pompiers, présents sur tous les champs de bataille de 14-18.
« Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre,
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés ».
Hommage, Mesdames et Messieurs, à ceux qui se sont battus : car dans la guerre, comme dans la paix, le dernier mot est à celui qui ne se rend jamais.
Vive Lavaur,
Vive la République,
Et vive la France.

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