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Avant-propos – 11 novembre 2008


Il y a des oubliés de la mondialisation comme il y a des soldats inconnus.

Des victimes d’une guerre dépourvue des visages et images tragiques qui nous sont familiers. Des héros des situations ordinaires que l’on ne rencontrera jamais dans les grandes capitales du monde, ou sur les plateaux de télévision, et qui, chaque jour, apportent à leur génération beaucoup d’eux-mêmes, du travail, de la fraternité, parfois du rêve.

Artisans, entrepreneurs ou paysans, ils contemplent, avec incrédulité, le spectacle désastreux offert par ceux que l’on appelait, il y a quelques mois encore, les « rois de la finance », jeunes « maîtres du monde », formés dans les meilleures universités du monde, par les meilleurs professeurs au monde.

Quand, il y a quelques jours, par la faute de ces spéculateurs, les crédits aux entreprises ont été gelés, que les clients se sont évanouis, tandis que s’effondraient en Bourse les actions de nos entreprises les plus sûres et les plus stables, nous avons tous compris, concrètement, combien la mondialisation n’était pas un concept, qu’elle n’était plus seulement une opportunité heureuse d’échanges, mais qu’elle pouvait constituer aussi une menace directe portée à nos vies, à nos familles, à nos pays.

Ces combattants oubliés, je vis avec eux depuis que je suis élu, et c’est pour eux que je témoigne, avec autant de colère que d’espoir.

Depuis quinze ans, je partage leurs enthousiasmes et leurs angoisses ; ceux d’un industriel qui se bat, tour à tour, contre ses concurrents du monde entier et les réglementations de dizaines d’Etats, contre les Organisations Non Gouvernementales (ONG) aussi, qui, après avoir cherché à lui nuire, négocient chèrement l’armistice.

Je partage la colère de ces agriculteurs qui ne comprennent pas que Bruxelles gèle quatre millions d’hectares de belles terres, quand il y a dans le monde un milliard de nos contemporains qui ne mangent pas à leur faim.

Je connais beaucoup de retraités qui vivent, chaque mois, avec quelques centaines d’euros, après une dure vie professionnelle, où chaque étape de confort – la télévision il y a quarante ans, la voiture il y a trente ans – a été saluée avec joie, qui ne peuvent comprendre que l’on puisse tergiverser, un mois, au Parlement, sur les modalités de financement du Revenu de Solidarité Active (un milliard d’euros), mais « mobiliser » en cinq jours 360 milliards pour des banques.

Pour les entrepreneurs comme pour les salariés, il y a aujourd’hui quelque chose d’incompréhensible, voire d’insupportable, à comparer les moyens – inimaginables – servis, dans l’urgence, aux banques qui avaient failli, et les moyens qui, avant le crise, étaient destinés à récompenser le mérite et le travail.

Je suis élu d’un territoire, j’ai envie de dire d’un « terroir » tant il est fait pour moi de chair, d’histoire et de bonheurs concrets. Je connais l’« odeur de la France », selon la belle expression du philosophe Jean-Paul Dollé.

Je m’y sens chez moi. Et c’est là, comme doivent le faire tous les élus, « chez eux », qu’il faut tenter d’expliquer le sens d’un phénomène qui, pour beaucoup, n’en a pas…

Quoiqu’ils en disent parfois, nos électeurs nous accordent une confiance qu’ils ne prêtent pas à d’autres, experts et commentateurs.

C’est fort de cette alliance, si intime, creuset de notre démocratie, que j’ai souhaité exprimer quelques libres pensées.

Depuis de longues années j’ai plaidé la nécessité d’un retour de la voix politique dans l’économie, d’une voix qui serait la traduction d’un engagement collectif au service de nos intérêts, français et européens – ce que j’ai appelé, en 2003, le « patriotisme économique[1] ». Cette voix du politique n’est pas l’expression d’une pulsion colbertiste – encore que Colbert ait été l’un de nos grands hommes d’Etat – ni même d’un protectionnisme archaïque. 

Mais c’est à l’Etat qu’il revient de donner du sens, de transformer l’avenir en destin. C’est à lui de garantir la cohésion de notre pays, c’est-à-dire de faire en sorte que notre développement ne privilégie pas les uns au détriment des autres ; c’est à lui de définir nos intérêts stratégiques[2], industriels et scientifiques, à les défendre comme à les promouvoir aux côtés de nos entreprises, dans les domaines de la santé, de l’énergie, de la défense, des technologies de l’information, de l’aéronautique et du spatial : c’est à l’Etat, encore, de conjuguer nos talents, qu’ils soient issus du marché, de l’administration, de l’Université ou des mouvements confessionnels et associatifs.

Je suis convaincu que, quelle que soit la nécessité de réformer la gouvernance financière mondiale, il y a plus important encore…

Bien sûr, il est nécessaire de réguler, de moraliser, de surveiller, d’harmoniser, peut-être même de centraliser, mais nous sommes, dans bien d’autres domaines, « dos au mur » : les émeutes de la faim précèdent-elles de nouveaux et vastes mouvements migratoires ? Comment les européens assureront-ils dans trente ans leur sécurité collective alors que 40 % d’entre eux auront plus de 60 ans ? Disposons-nous collectivement de tous les outils d’alerte, de prévention et de soin contre les grandes épidémies ?

Je crois en la diversité de la France, en l’émergence de ses talents, en l’immense potentiel de ses territoires. Mais la richesse n’est pas grand-chose sans prise de conscience.

Ces réflexions sont commandées par un sentiment naturel de fraternité avec ceux qui souffrent, parfois se battent, et toujours espèrent un autre monde.


[1] Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale, La documentation Française, p. 11, 2003 et Patriotisme économique, de la guerre à la paix économique, Editions du Rocher, 2006.

[2] Se reporter aux travaux de la Fondation d’entreprises Prometheus (fondation-prometheus.org).

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