Affaire Jobic : l’honneur d’un commissaire

Le Figaro – Mai 1989


L’« affaire Jobic », qui vient de trouver un heureux épilogue par la relaxe du jeune commissaire prononcée par le tribunal de Nanterre, illustre trois difficultés majeures du mode français de répression du crime :

– l’ambiguïté et la modestie des moyens d’investigation mis à la disposition de la police nationale ;

– la lourdeur du contentieux qui oppose celle-ci à la gendarmerie ;

– la fragilité d’un système judiciaire d’instruction reposant sur un homme.

Le commissaire Jobic, brillant major de sa promotion, est un pur produit des services de police judiciaire de la préfecture de Police dont on a souvent souligné la qualité des fonctionnaires. Placé à la tête d’une unité de recherche, dont la vocation est de lutter contre la moyenne délinquance à partir d’un travail de terrain, Jobic et ses collaborateurs avaient déféré à la justice, en quatre ans, plus de mille cent auteurs de trafics de stupéfiants, de vols, d’agressions et de proxénétisme. Ces résultats, les meilleurs des six unités parisiennes, traduisaient une singulière disponibilité et la qualité des renseignements recueillis auprès de ses « informateurs ». Au risque de heurter les bonnes consciences, on rappellera que ces renseignements s’acquièrent évidemment par l’argent ou des indulgences.

Contre le banditisme ou contre le terrorisme, les mêmes méthodes donnent les mêmes résultats : ceux qui s’indignent aujourd’hui contre certaines faveurs, sont d’ailleurs les mêmes qui s’étranglaient de rage lorsque les têtes de terroristes avaient été mises à prix à l’automne 1986.

Selon les propos attribués au magistrat d’instruction, qui dans son genre, ne fit guère preuve de retenue pour vérifier ses intuitions, en plaçant notamment Yves Jobic en détention préventive, ce dernier « serait allé trop loin », laissant même accréditer qu’il aurait, avec son chef direct, joué le rôle d’un « collecteur de fonds pour le RPR »… 

Qu’importe que ces allégations ne puissent jamais (et pour cause) être vérifiées ! Qu’importe que tous les témoignages à charge se soient effondrés les uns après les autres ! Qu’importe que ces accusations émanent d’une pègre déstabilisée par la pugnacité d’un service ! Qu’importe que le secret de l’instruction ait été manifestement violé ! Qu’importe enfin que toutes les pressions aient pu être utilisées afin de peser sur les témoins à décharge.

L’air de la calomnie trouve toujours des oreilles complaisantes : comme disent, avec une innocente cruauté, les braves gens, « il n’y a pas de fumée sans feu » !

Depuis de nombreuses années, un lourd et public contentieux sévit entre la police et la gendarmerie. Le rôle des médias, qui valorisent à l’excès telle ou telle grande figure présumée de ces services, n’est pas étranger à ce climat malsain de concurrence dans le vedettariat. On ne dira jamais non plus suffisamment le mal que causa à la gendarmerie – Arme dont le légalisme et le dévouement sont exemplaires, la création d’une cellule élyséenne de renseignement, de protection et d’investigation placée sous l’autorité d’un de ses officiers supérieurs. Outre les « affaires » dont elle fut à l’origine, des « Irlandais de Vincennes » aux « plombiers » du Conseil supérieur de la magistrature, son existence accrédita l’idée d’une hiérarchie de confiance entre les services de police, fixée au plus haut niveau de l’Etat. La Justice devrait un jour se pencher sur les conditions obscures dans lesquelles elle fut utilisée, dans cette affaire.

Reste à expliquer l’acharnement témoigné dans cette affaire par un juge d’instruction dont l’appartenance au très gauchisant Syndicat de la magistrature est notoire !

Comment a-t-on pu se permettre tant de manœuvres, de fausses accusations, d’imprudences même à l’égard de la sécurité d’informateurs, dont les noms ont fleuri dans la presse !

Au risque d’être cruel envers Yves Jobic, qui mérite pourtant estime et encouragement, peu importe, son cas personnel : cette affaire aura excité une fois de plus les antagonismes entre deux forces de police, jeté la suspicion sur l’impartialité de la magistrature, discrédité l’institution policière.

Maintenant que le commissaire Jobic est innocenté, la police comme les citoyens sont en droit d’attendre un geste public de la part de son ministre de tutelle, voire du Premier ministre, qui, voilà quelques mois, soulignait devant une assemblée de commissaires, les qualités de dévouement de ce corps.

A défaut d’un témoignage officiel effaçant l’outrage, les parlementaires seraient bien inspirés de réclamer au gouvernement la création d’une commission d’enquête, destinée à faire la lumière sur cette bien « ténébreuse affaire » et d’en tirer les leçons nécessaires quant à l’organisation, sous l’autorité de la justice, des relations entre la police et la gendarmerie –

Ce serait salutaire pour la sécurité de tous. Et bien légitime pour l’honneur d’un commissaire.

Mis en détention par le juge Hayat, membre du Syndicat de la Magistrature, le commissaire Jobic est sorti totalement blanchi de cette affaire. La Cour de cassation a considéré qu’il avait été « victime d’une incarcération abusive et d’un préjudice particulièrement anormal et grave ».

Le Juge Hayat, conseiller technique de Ségolène Royal de 1997 à 2000, fit une belle carrière de magistrat comme président de TGI à Nice et  Nanterre : il est aujourd’hui président du TGI de Paris…

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